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UN VOYAGE EN CHINE.

fois sans le secours de ses deux suivantes ; je fus au moment de lui offrir l’appui de mon bras. Combien cette horrible contrainte, que les femmes subissent ici dès leur enfance, ne doit-elle pas peser sur leur imagination et rétrécir le cercle de leurs idées ! N’importe, elles sont ce que les Chinois veulent qu’elles soient, des esclaves soumises à tous leurs désirs. Le mari est toujours sûr de trouver sa femme chez lui, et quand, le soir, il revient, fatigué du travail de la journée, ou l’esprit préoccupé de soucis, il n’a à craindre ni les pressantes sollicitations de sa compagne pour aller à la promenade ou au bal, ni un visage boudeur, s’il repousse sa prière. Mais quelle consolation, quel charme peut-il trouver dans l’ame étouffée de cette pauvre femme ? Dans ce triste ménage, pas d’épanchemens, pas de douces confidences ; à chaque pas qu’il fait dans la vie, son bonheur se brise contre la réalité. On dit que, malgré l’emprisonnement forcé des femmes, l’honneur des maris n’est pas toujours, en Chine, à l’abri de toute atteinte. Je ne serais pas éloigné de le croire : si la victime est renfermée, la séduction marche et peut entrer librement dans les maisons ; si l’ame est mutilée, les sens ne le sont pas, et, en vérité, quand on est femme et Chinoise, il doit être difficile de résister au désir de la vengeance. Pour moi, je l’avoue, quelque immoral que soit un pareil vœu, je souhaite volontiers malheur à ces barbares maris.

À ce tableau d’un intérieur chinois succéda pour nous une scène plus triste encore ; l’exécution d’un pauvre contrebandier, sur lequel les agens de la police avaient surpris quelques boules d’opium, et qui allait payer de sa vie cette infraction aux lois de l’empire. C’est en vain cependant que le gouvernement s’arme de toutes ses rigueurs ; l’opium est plus fort que lui ; les magistrats, ceux même qui prononcent la sentence de mort contre le malheureux qui s’est laissé surprendre, sont peut-être ivres d’opium sur leur tribunal ; les mandarins chargés spécialement de surveiller la contrebande sont les premiers à enfreindre la loi ; on fume l’opium jusque dans les murs du palais impérial. Peut-être cette passion effrénée ferait-elle moins de ravages, si le gouvernement permettait et régularisait le commerce de l’opium. C’est ce que les autorités anglaises demandent à grands cris ; mais comment changer une loi de l’empire ? il serait absurde d’y penser. En Chine, on ne dit pas : Périsse l’état plutôt qu’un principe, mais bien : Périsse le peuple plutôt qu’une loi, quelque mauvaise qu’elle soit d’ailleurs ! — En cheminant vers le théâtre du supplice, situé à l’est de la ville, je ne pus m’empêcher de penser que, quelques heures auparavant, moi aussi, je fumais ce mortel poison, et un léger frémissement parcourut toutes mes veines. Une exécution en Chine n’est jamais chose rare, car les lois du céleste empire sont vraiment draconiennes, et si je pouvais mettre sous vos yeux le tableau de toutes les tortures qu’elles infligent, et dont la description que j’ai faite des peines de l’enfer donnerait à peine une idée, vous frémiriez d’horreur ; mais c’est surtout à la fin de l’année que les exécutions et les châtimens de toute espèce se multiplient, car il faut que les prisons se vident et que les dossiers des juges s’épuisent avant que s’ouvre l’année nouvelle. Le peuple nous sembla familiarisé avec