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faire mutuellement la grimace. Nous traversâmes une seconde cour, et nous arrivâmes à un second vestibule, où quatre géans de dix-huit à vingt pieds de haut montent une garde éternelle. Chacune de ces étranges sentinelles amuse ses loisirs d’une manière différente : l’une, à l’air féroce et aux sourcils épais, tire à moitié son sabre du fourreau ; on dirait qu’elle exécute un des commandemens de l’exercice portugais, le cara feroz al enemigo. L’autre joue d’une espèce de mandoline et semble s’accompagner de la voix ; sa bouche est entr’ouverte, et laisse voir une formidable rangée de dents de six pouces de long. Le troisième monstre tient majestueusement un sceptre de la main droite, et, gardien d’un temple, on le prendrait lui-même pour un dieu ; je cherche en vain dans ma mémoire ce que fait le voisin de ce grave personnage : je laisse le soin de ce curieux détail à un voyageur plus exact que moi.

Le temple de Mia-o se compose en partie de cinq chapelles principales, séparées les unes des autres par des cours plantées de très beaux arbres. Les cellules et les dépendances du couvent garnissent les deux ailes, qui communiquent avec les chapelles principales par de petits ponts. Il y avait dans une de ces chapelles un superbe tombeau de marbre blanc ; j’emploie le mot tombeau, parce que ce monument me rappela les plus belles tombes du Père-Lachaise ; celles-ci même sont loin de pouvoir soutenir la comparaison avec le magnifique morceau d’architecture que j’avais sous les yeux. La base du monument, qui a un peu plus de quatre pieds de haut, forme un carré parfait, dont chacune des faces peut avoir dix pieds de large ; elle est surmontée d’une espèce de colonne en fuseau ou limaçon, qui se termine en pointe. Chacune des façades est ornée de sculptures d’un travail remarquable. Quatre anges ou divinités sont agenouillés à chaque angle de ce mausolée, que la personne qui m’accompagnait me dit être d’une très haute antiquité, et qui fut élevé, m’assura t-elle, sur les cendres d’un des premiers fondateurs du temple.

Une scène à laquelle je ne m’attendais pas devait appeler tout mon intérêt dans la chapelle principale : les bonzes étaient à leur prière du soir ; leur robe de soie grise était recouverte en partie d’une espèce d’étoffe de soie jaune, qui, laissant le bras droit libre, venait se rattacher sur le sein gauche au moyen d’un anneau d’écaille et de larges crochets d’argent ou de cuivre. La chapelle où se faisaient les prières avait environ quatre-vingts pieds de long sur cinquante de large. Au centre étaient trois colossales statues de Boudha ; celle du milieu était vraiment monstrueuse ; de nombreuses lampes mêlaient leur clarté aux derniers rayons du soleil couchant, et le bâton sacré fumait sur les autels. De chaque côté étaient rangés cent cinquante ou deux cents bonzes. Leur prière ressemblait assez aux vêpres du rite catholique ; les bonzes de droite disaient un verset, auquel répondaient ceux de gauche. Leurs mains étaient étendues devant leur poitrine dans la position de la prière ; un homme, frappant avec un bâton sur une espèce de tambour de bois peint, marquait la mesure, qu’accompagnait aussi un triangle. Une sonnette donnait le signal de se mettre à genoux, et le triangle celui de se relever. Un Européen qui serait entré là par hasard, sans savoir où il était, aurait vraiment pu se croire, les