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UN VOYAGE EN CHINE.

même pas, quelques individus isolés qui suivent la doctrine religieuse d’une de ces nombreuses sectes qui se sont séparées de l’église catholique, je ne sache pas que nulle part une de ces sectes ait pu former une congrégation, tandis que, sur plus d’un point du céleste empire, la religion romaine a eu et a encore, malgré toutes les persécutions, et peut-être à cause d’elles, plus d’un autel et plus d’un troupeau de fidèles. Le gouvernement chinois n’a pas entièrement fermé les yeux sur l’existence de l’hôpital ophthalmique et sur les tendances de cette fondation ; ses espions ont pénétré jusque dans l’intérieur de cet asile de souffrances ; et pour qu’il ait laissé subsister cet établissement, il ne faut pas qu’il l’ait jugé bien dangereux, car le soulagement de quelques milliers de malades n’entrerait pour rien dans la balance de ses considérations politiques.

Le soir, il y eut un banquet de cinquante personnes à la factorerie anglaise ; la magnifique salle de ce palais, illuminée de mille flambeaux, ses immenses cheminées de marbre blanc, sa table richement servie, me rappelèrent un moment les splendides salons de nos châteaux royaux. Après dîner, nous eûmes des jongleurs de Pékin : on m’avait beaucoup vanté leur talent ; mais, soit que j’attendisse trop d’eux, soit qu’en effet ils ne fussent que des jongleurs ordinaires, leurs tours ne me parurent pas merveilleux ni supérieurs à ceux surtout que j’avais vu exécuter par des jongleurs indiens. Ce qui, dans ces jeux, eût le plus frappé un parterre de Paris, c’eût été incontestablement le costume de ces jongleurs, leurs manières, leur langage, et les invocations qu’ils adressaient au ciel.

Le jour suivant, je me fis conduire dans une manufacture de thés ; j’avais le plus grand désir de connaître en détail la préparation de cette plante, dont la vente forme les deux tiers de l’immense commerce que l’Angleterre fait avec la Chine, et qui est devenue, dans certaines parties de l’Europe, un objet de telle nécessité, que le gouvernement britannique, par exemple, n’oserait peut-être prendre la responsabilité d’une mesure tendant à arrêter le commerce du thé ; et c’est sans doute dans cette crainte qu’on peut trouver le secret des avanies auxquelles les Anglais se soumettent en Chine. Tout le monde sait qu’après avoir cueilli le thé, après l’avoir fait sécher à demi au soleil ou à un feu modéré, on lui fait subir une première préparation, qui consiste à le rouler avec les doigts ; on le trie ensuite. Le chauffage est la dernière opération. La salle dans laquelle nous étions contenait environ cinquante petites chaudières semblables à celles qu’on emploie dans nos raffineries, et enchâssées de même dans un fourneau de maçonnerie. Chacune de ces chaudières ou cuves, chauffée à environ cent soixante-dix degrés Fahrenheit, contenait six ou huit livres de thé vert, qu’un homme remuait continuellement avec la main pendant trois fois le temps que met à brûler un petit bâton fait de sciure de bois, c’est-à-dire pendant environ trois quarts d’heure. Le thé est ainsi passé au feu de trois à six fois ; la dernière fois, on y mêle une cuillerée d’un mélange bleu formé de deux parties égales de bleu de Prusse et de getzaet. Je pris des échantillons de l’un et de l’autre. C’est ce mélange qui donne au thé, dont la feuille séchée