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UN VOYAGE EN CHINE.

mandarin de l’intérieur. Le couvent sert de demeure aux personnes de distinction qui n’ont pas de domicile à Canton.

Au moment de nous retirer, on nous engagea à passer dans une petite salle où nous trouvâmes du thé et des fruits secs de huit ou dix espèces, servis sur une table ronde. Il y aurait eu de l’impolitesse et presque de la cruauté à refuser l’hospitalité de ces braves gens, et nous nous décidâmes à avaler quelques tasses d’excellent thé presque bouillant et sans sucre. C’est ainsi que les Chinois le boivent, car ils croiraient gâter leur thé et lui enlever une partie de sa saveur parfumée en y mêlant des matières étrangères. Lorsque nous nous disposâmes à prendre congé, un bonze fit entendre tout doucement le mot com-cha (don, offrande). Nous déposâmes bien volontiers notre aumône, et nous quittâmes le temple de la Vieillesse, enchantés de la complaisance que les bonzes avaient mise à nous en faire voir les détails ; l’accueil que nous avions reçu avait été vraiment on ne peut plus cordial. Je remarquai parmi ces bonzes quelques hommes qui devaient venir du nord de la Chine, car, chez eux, le type chinois commençait à s’effacer ; leurs yeux étaient à peine bridés, quelques-uns avaient une barbe fort respectable et une figure presque européenne.

Le temple se trouvant à peu de distance de la muraille de la ville intérieure, nous profitâmes de ce voisinage pour aller voir une des portes. Nous reconnûmes que nous en approchions à l’immense foule que nous rencontrâmes dans les rues avoisinantes ; à peine si nous pouvions faire quelques pas à travers les flots de peuple que la porte dégorgeait, au milieu des porteurs de chaises et des hommes chargés de fardeaux qui se frayaient un passage en poussant leur cri habituel. Il faut peu de chose dans les rues étroites de Canton pour arrêter la circulation. Nous pûmes cependant jeter un regard sur la porte et dans la rue intérieure, qui n’est qu’une continuation, sans aucune différence, de celle du faubourg qui y conduit. La porte est voûtée et n’a guère que sept ou huit pieds de haut ; quelques soldats déguenillés la gardaient. Malgré le désir que nous avions de pénétrer dans l’intérieur de la ville, il ne nous vint pas même à l’esprit d’essayer de forcer la consigne, sachant très bien que c’eût été une entreprise très périlleuse ; nous nous rappelions encore, d’ailleurs, l’inscription de la salle à manger du couvent, et nous eûmes la prudence de respecter les mœurs et les coutumes chinoises.

Nous allâmes ensuite visiter un établissement appelé Con-soo ; c’est une espèce de bourse et en même temps, comme tous les établissemens publics des Chinois, une chapelle. C’est là que se réunissent les marchands de Nim-po, dans la province de Fo-kien, qui font avec Canton un très grand commerce de thé et de soie grège. Nous ne pûmes pas pénétrer dans les appartemens intérieurs ; ce ne fut même que par le plus grand des hasards, et parce que les gardes n’étaient pas à leur poste, qu’il nous fut permis d’entrer dans la salle des réunions. Cette salle a un air de grandeur et de solennité que je n’ai trouvé nulle autre part à Canton ; elle est garnie tout à l’entour de sièges élevés. Au milieu est placée l’image du dieu qui préside au commerce ; son autel est de marbre et magnifiquement sculpté ; de légers lambris d’un travail exquis l’en-