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UN VOYAGE EN CHINE.

hommes riches ont également une foule de cliens auxquels ils accordent sous leur toit les premières nécessités de la vie ce qui, du reste, en Chine, où la nourriture consiste en riz cuit à l’eau, ne constitue pas une grande dépense. How-qua a quatre maisons dans le genre de celle dont je viens de parler. Dans chacune d’elles, il a une de ses femmes : en Chine, la polygamie est permise, et un Chinois peut avoir autant de femmes qu’il peut avoir de maisons pour les loger ; mais celle qu’il a épousée la première est toujours considérée comme sa femme légitime. On sait comment se font les mariages en Chine : ce sont les familles qui les arrangent sans avoir égard au goût ou à l’âge de ceux qu’elles veulent unir ; les deux époux se voient seulement quand la cérémonie est conclue. Il arrive souvent que le marié, jeune et aimant le plaisir, se trouve uni à une femme laide, contrefaite, ou d’un âge avancé ; il est donc tout naturel, quand sa fortune le lui permet, qu’il aille chercher ailleurs le bonheur qu’il ne peut trouver chez lui. Quelqu’un demandait à How-qua combien il avait de femmes, il répondit qu’il en avait quatre, dont deux à petits pieds et deux à pieds longs ; et lorsque je le priai de me dire auxquelles il donnait la préférence : — Oh ! me dit-il, aux longs pieds : les femmes à petits pieds sentent mauvais (smelly bad).

Je profiterai du hasard qui a amené How-qua sur mon chemin pour donner quelques détails sur les hanistes, corporation intéressante, puisqu’elle est la seule voie par laquelle les étrangers puissent faire une transaction légale en Chine. J’ai déjà dit que cette corporation doit son existence à la répugnance du gouvernement chinois à se trouver en contact avec les barbares ; elle a été formée pour servir d’intermédiaire entre eux et lui. C’est la corporation des hanistes qui reçoit la souillure et qui est considérée comme le bouc émissaire du commerce avec les étrangers. Cette dernière circonstance seule pourrait donner à une personne qui connaîtrait la Chine une idée de leur position sociale : les hanistes ne sont pas considérés comme mandarins, c’est-à-dire comme revêtus de fonctions publiques ; leur autorité n’est que semi-officielle et ne s’étend pas au-delà des attributions qui leur sont dévolues. Il y a telle corporation de marchands qui leur est supérieure, celle des marchands de sel, par exemple. Le privilége exclusif qu’ont les hanistes de faire le commerce avec les étrangers leur procure d’immenses bénéfices : c’est ainsi que plusieurs d’entre eux ont amassé des fortunes monstrueuses ; mais ils sont à tout moment sous le coup des exactions qu’il plaît aux mandarins supérieurs de leur faire subir ; car, en Chine, c’est le privilége des autorités de pressurer tous ceux qui sont placés sous leur dépendance ; presque toujours les emplois sont payés très cher, et les appointemens sont nuls ou presque nuls. Le céleste empire peut se comparer à l’empire de la mer, où les gros poissons mangent les moyens, les moyens les petits, et ceux-ci les infiniment petits. Les hanistes répondent non-seulement de leur propre conduite et des droits que les navires étrangers ont à payer, mais encore l’autorité les rend responsables de toute contravention aux lois et de tout délit commis par un étranger. Lorsque je me trouvais à Canton, un bateau européen fut arrêté avec de la contrebande d’opium ; la marchandise