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inséré une petite scène intitulée Adolescens et scortum. C’est un libertin converti qui, comme Paphnuce, demande à une courtisane de le conduire dans le lieu le plus sombre de sa maison, pour n’y être vu ni de Dieu ni des anges, et qui finit par lui faire quitter sa honteuse profession. Ensuite Decker, poète contemporain de Jacques Ier, a mis au théâtre ce même sujet, sous le titre grossier de The honest Whore. Dans cette pièce, comme dans celle d’Abraham, un père (mais un père selon la chair et non pas seulement un père spirituel) franchit le seuil d’un lieu de débauche, pour en arracher sa fille tombée au dernier degré du désordre et de l’abjection. S’il était vrai, comme on l’a dit souvent, que la comédie fût l’expression de la société, la comparaison que nous sommes à même d’établir entre les deux comédies de Hrosvita, le drame anglais et le colloque d’Érasme, nous offrirait un moyen sûr et piquant d’apprécier la moralité des trois époques. Quant à moi, je n’hésite pas à dire que, pour la délicatesse des sentimens, la finesse et la retenue du langage, l’inspiration religieuse et l’élévation morale, la pièce d’Abraham et celle de Paphnuce et Thaïs sont incontestablement supérieures au bel esprit libertin et médiocrement sérieux d’Érasme, aussi bien qu’au cynisme déclamatoire du dramaturge anglais ; de sorte que, s’il fallait juger des Xe, XVIe et XVIIe siècles par ces ouvrages, tout l’avantage, suivant moi, serait au Xe siècle.


Charles Magnin.