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REVUE DES DEUX MONDES.

Paphnuce. — Il faut n’y ménager ni entrée, ni sortie ; mais seulement une petite fenêtre par laquelle elle puisse recevoir le peu de nourriture que vous lui ferez donner à des jours et à des heures marqués.

L’abbesse. — Je crains que sa délicatesse ne puisse supporter la rigueur d’un genre de vie si pénible.

Paphnuce. — N’ayez pas cette inquiétude. Il faut à des fautes si grandes un remède proportionné.

L’abbesse. — Il est vrai.

Paphnuce. — Pour moi, ce qui m’inquiète, ce sont les retards ; je ne puis m’empêcher de craindre que cette faible femme ne retombe dans la société corrompue des hommes.

L’abbesse. — Pourquoi craindre plus long-temps ? Que ne la renfermez-vous ? La cellule que vous avez demandée est toute prête.

Paphnuce. — J’en suis satisfait. Entrez, Thaïs, dans ce réduit, où vous pourrez convenablement pleurer vos désordres.

Thaïs. — Que cette cellule est étroite et obscure ! Que ce séjour est incommode pour une femme délicate !

Paphnuce. — Pourquoi maudissez-vous cette habitation ? Pourquoi frémissez-vous d’y entrer ? Indomptée jusqu’à ce jour, vous avez erré sans contrainte ; il convient aujourd’hui que vous receviez un frein dans la solitude.

Thaïs. — L’ame accoutumée à la licence ne peut se défendre de quelques faibles retours vers sa vie passée.

Paphnuce. — C’est pourquoi les rênes de la discipline doivent la retenir, jusqu’à ce que toute révolte ait cessé.

Thaïs. — Avilie, comme je le suis, je ne refuse pas d’obéir aux ordres de votre paternité ; mais il y a dans cette habitation un inconvénient que ma faiblesse supportera avec peine.

Paphnuce. — Lequel ?

Thaïs. — Je rougis de le dire.

Paphnuce. — Ne rougissez pas ; parlez sans détour.

Thaïs. — Qu’y a-t-il de plus pénible, de plus révoltant que d’être forcée de satisfaire dans un même lieu à toutes les nécessités corporelles ? Il est certain que cette cellule sera bientôt infecte et inhabitable.

Paphnuce. — Redoutez les supplices éternels, et ne pensez pas à des désagrémens passagers.

Thaïs. — C’est ma faiblesse qui me force à craindre.

Paphnuce. — Il faut expier par des incommodités rebutantes la mollesse coupable et les délices au sein desquelles vous avez vécu.

Thaïs. — Je ne résiste plus : je conviens qu’il est juste que, souillée par l’impureté, j’habite une fosse impure et fétide. Je gémis seulement de voir qu’il ne me restera pas une place où je puisse convenablement et décemment invoquer le nom de la redoutable majesté.