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REVUE DES DEUX MONDES.

Thaïs. — Hélas ! hélas ! Que dites-vous ? Quelles menaces faites-vous à une pauvre malheureuse ?

Paphnuce. — Les supplices de l’enfer vous attendent, si vous persévérez dans le crime.

Thaïs. — La sévérité de vos réprimandes ébranle les derniers replis de mon cœur effrayé.

Paphnuce. — Plût à Dieu que la crainte pénétrât jusqu’au fond de vos entrailles ! vous n’auriez plus l’audace de vous livrer à de dangereuses voluptés.

Thaïs. — Et quelle place peut-il rester à présent pour les plaisirs corrompus dans un cœur où règnent sans partage un repentir amer et l’épouvante que m’inspirent des crimes dont ma conscience connaît l’énormité ?

Paphnuce. — Ce que je désire surtout, c’est que, vous dégageant des épines du vice, vous répandiez sur vos fautes une larme de componction.

Thaïs. — Ah ! si vous pouviez croire, ah ! si vous pouviez espérer qu’une pécheresse souillée, comme je le suis, par la fange de mille et mille impuretés, pût encore expier ses crimes et mériter son pardon par une pénitence, quelque dure qu’elle fût !…

Paphnuce. — Il n’est point de péché si grave, point de crime si énorme, qui ne puisse s’expier par les larmes du repentir, pourvu que les œuvres en prouvent la sincérité.

Thaïs. — Enseignez-moi, je vous prie, mon père, par quelles œuvres je puis obtenir la faveur de ma réconciliation.

Paphnuce. — Méprisez le siècle et fuyez la compagnie de vos amans dissolus.

Thaïs. — Et que me faudra-t-il faire ensuite ?

Paphnuce. — Vous retirer dans un lieu solitaire, où, vous examinant vous-même, vous puissiez pleurer sur l’énormité de vos fautes.

Thaïs. — Si vous espérez que cela puisse être utile à mon salut, je ne tarde pas un instant à suivre vos conseils.

Paphnuce. — Je ne doute pas que cela ne soit utile à votre salut.

Thaïs. — Accordez-moi seulement quelques instans pour réunir les richesses que j’ai si mal acquises et que j’ai trop long-temps possédées.

Paphnuce. — Ne vous inquiétez pas de vos richesses ; il ne manquera pas de gens qui s’en serviront, lorsqu’ils les auront trouvées.

Thaïs. — Ma pensée, mon père, n’est ni de garder ces biens, ni de les donner à mes amis ; je ne pense même pas à les distribuer aux indigens, car je ne crois pas que le prix de ce qui doit être expié puisse être employé en bonnes œuvres[1].

Paphnuce. — Vous avez raison ; mais que voulez-vous faire de ces monceaux de richesses ?

Thaïs. — Les livrer aux flammes et les réduire en cendres.

  1. Cette pensée vraiment chrétienne est une censure bien remarquable des fondations pieuses par lesquelles on croyait obtenir le pardon de tous les crimes.