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Des six pièces de Hrosvita, l’auteur de cette notice en a déjà traduit trois, Abraham, Callimaque et Dulcitius[1]. Il va en traduire ici même une quatrième, Paphnuce et Thaïs. Il ne la fera précéder que de quelques mots d’avertissement.

Hrosvita a tiré le sujet de Paphnuce et Thaïs d’un auteur grec antérieur au Ve siècle[2]. Arnaud d’Andilly a donné place à cette histoire dans ses Vies des saints pères des déserts[3]. Nous voyons dans cette pièce, comme dans celle d’Abraham, un pieux ermite quitter sa solitude pour aller, sous des habits mondains, convertir une courtisane. Celle-ci, touchée de repentir, jette dans un brasier ses richesses mal acquises, et pleure ses fautes pendant trois ans dans une étroite cellule. Ce qui rend ce drame peut-être un peu moins pathétique que le précédent, c’est qu’il n’existe pas entre Thaïs et Paphnuce les mêmes liens d’affection et de parenté qu’entre Abraham et Marie ; mais l’auteur a su compenser cette cause réelle d’infériorité par l’effusion la plus abondante des sentimens de la plus angélique charité. Je serais bien surpris si la mort de Thaïs ne paraissait pas à tous les lecteurs une scène à la fois des plus naturelles et des plus touchantes. Je ne fais nulle difficulté de convenir, en revanche, que dans aucune autre pièce Hrosvita ne s’est montrée aussi pédante et n’a étalé un appareil d’érudition aussi étrange et aussi déplacé. Je dois prévenir encore que dans nulle autre pièce elle n’a plus bizarrement substitué les mœurs de son propre temps à celles de l’époque où l’action du drame est censée se passer. Mais on me permettra de faire remarquer que des maladresses de composition et des erreurs de costume sont, dans des œuvres aussi anciennes que celle qui va nous occuper, non moins piquantes et non moins instructives que ne le seraient des beautés.

La première scène démesurément longue nous montre Paphnuce donnant à ses disciples des leçons qui n’ont rien de la simplicité qu’on serait en droit d’attendre d’un solitaire. L’auteur a représenté le soi-disant ermite comme un vrai controversiste du Xe siècle, étalant les arguties les plus abruptes de la scolastique naissante. Nous nous trouvons introduits avec surprise, mais non sans profit, sur les bancs d’une école du Xe siècle. Nous assistons à un cours de théo-

  1. Voy. le Théâtre européen, tom. Ier, pag. 1 et suiv.
  2. Vid. Sirlet., Grœc. menolog., ap. Canis., Antiq. lection., tom. II. — La traduction latine, faite par un anonyme, se trouve dans les Bollandistes, Acta sanctor., 8 octobr., tom. IV, pag. 223, seqq.
  3. tom. i, pag. 541 et suiv.