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LA COMÉDIE AU DIXIÈME SIÈCLE.

la mélancolie, le délire de l’ame et des sens, et jusqu’à cette fatale inclination au suicide et à l’adultère, attributs presque inséparables de l’amour au XIXe siècle. Aussi ne voit-on dans Callimaque aucun de ces jeunes ou vieux libertins des comédies de Plaute et de Térence, qui se disputent une belle esclave ou marchandent une courtisane. Ce que peint Hrosvita dans Callimaque, c’est la passion effrénée, aveugle, furieuse, d’un jeune homme encore païen pour une jeune femme chrétienne et mariée, femme chaste et timorée, au point de demander en grace à Dieu de la faire mourir pour la soustraire aux dangers d’une tentation trop vive. Et en même temps que la pudeur excite de si délicats scrupules dans la conscience de Drusiana, l’amour bouillonne si violemment dans les veines de Callimaque, qu’après la mort de celle qu’il aime, il ose, comme Roméo, violer sa tombe à peine fermée et chercher les embrassemens qu’elle lui a refusés vivante, dans la couche de pierre où gisent ses restes inanimés. Certes, quand cet ouvrage n’aurait d’autre mérite que de nous montrer un échantillon des sentimens et des paroles qu’échangeaient dans leurs tête-à-tête les amans du Xe siècle et de soulever ainsi un pan du voile qui nous cache la vie intime et passionnée de ces temps encore mal connus, ce monument, par cela seul, serait pour nous d’une valeur inappréciable.

J’ai déjà rapproché involontairement Roméo et Callimaque. C’est qu’en effet il est impossible de n’être pas frappé des points nombreux de ressemblance qui existent entre cette première esquisse du drame passionné et le véritable chef-d’œuvre du genre, Roméo et Juliette. On aperçoit, au premier coup d’œil, dans ces deux ouvrages, des rapports qui, pour être extérieurs et en quelque sorte matériels, n’en sont pas moins singuliers ni moins notables. Ainsi le dénouement des deux pièces présente aux yeux un tableau presque pareil. Dans l’un et l’autre, on voit un caveau sépulcral, une tombe de femme ouverte, une jeune morte, fraîche encore, dont le suaire a été écarté par la main égarée d’un amant, un jeune homme étendu mort au pied d’un cercueil. Sur le lieu de cette scène douloureuse et tragique, surviennent, dans l’un et l’autre drame, deux hommes navrés de douleur, mais qui sont maîtres de leurs passions ; dans Shakspeare, le père de la jeune fille et le moine Laurence, dans Callimaque, le mari de la jeune défunte et l’apôtre saint Jean, qui, plus heureux que le franciscain, aura le double pouvoir de ressusciter Drusiana et Callimaque, et de rendre celui-ci à la sagesse aussi bien qu’à la vie. Ce sont là, il faut l’avouer, des ressemblances de personnages et de situations incontes-