Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 20.djvu/442

Cette page a été validée par deux contributeurs.
438
REVUE DES DEUX MONDES.

La pièce italienne, à proprement parler, ne commence qu’à la fin du premier acte. Mlle Garcia a joué ce final avec une grace et une retenue parfaites ; son attitude soumise près de son père, les regards détournés qu’elle ose à peine jeter sur Othello, la crainte mortelle qui l’agite, tout a été profondément senti et pudiquement exprimé. Dans ce beau chœur dont on n’entend qu’un mot : la dolce speme (et ce mot seul suffit, tant cette langue est charmante), elle a chanté avec une admirable tristesse.

Au second acte, elle a un peu manqué, pendant la première scène, de cette habitude du théâtre dont il était question tout à l’heure. Je crois que Rubini, pour se soustraire à ses demandes, a été obligé de chercher un abri jusque dans la coulisse. Le moment où elle tombe à terre, repoussée par Othello, a semblé pénible à quelques personnes. Pourquoi cette chute ? Il y avait là autrefois un fauteuil, et le libretto dit seulement que Desdémone s’évanouit. Si je fais cette remarque, ce n’est pas que j’y attache grande importance ; mais ces grands mouvemens scéniques, ces coups de théâtre précipités, sont tellement à la mode aujourd’hui, que je crois qu’il faut en être sobre. La Malibran en usait souvent, il est vrai ; elle tombait, et toujours bien. Mais aujourd’hui les actrices du boulevart ont aussi appris à tomber, et Mlle Garcia, plus que toute autre, me paraît capable de montrer que si on peut réussir avec de tels moyens, on peut aussi s’en abstenir.

L’air Se il padre m’abbandonna est un morceau des plus bizarres ; c’est un mélange des phrases les plus simples et des difficultés les plus contournées. La situation force l’actrice à être aussi touchante que possible, et en même temps, à peine a-t-elle dit les premières notes, que la vocalise l’entraîne et la jette dans un déluge de fioritures ; mais, à cause de sa bizarrerie même, cet air peut servir de pierre de touche pour juger une cantatrice : si elle n’est pas à la hauteur de la situation, on s’en aperçoit sur-le-champ. Que de fois n’avons-nous pas vu de belles personnes, pleines de bonne volonté, lancer hardiment les premières mesures d’une voix si émue, qu’on croyait qu’elles sentaient quelque chose et qu’elles allaient faire pleurer, puis s’arrêter là tout à coup, reprendre haleine tranquillement et se mettre à jouer de la flûte ! Quand la phrase simple arrive, on est à l’opéra ; mais, dès que la difficulté se présente, on est au concert. L’émotion retombe en triples-croches, comme une fusée en étincelles. Mlle Garcia, dans cet air, n’a rien laissé à désirer. Les difficultés, loin de l’affaiblir, semblaient l’animer. Sa voix, qui, comme on sait, a deux octaves et demie, mélange rare du soprano et du contralto, s’est développée avec la plus grande liberté. Elle a su donner l’accent de la douleur aux traits les plus hardis et les plus périlleux. Le parterre a applaudi les roulades avec transport, et il avait raison ; la phrase principale a ému tout le monde ; pour ma part, je recommande, à ceux qui savent comprendre, la manière dont Mlle Garcia prononce le premier vers :

L’error, l’error d’un’ infelice.

Dans la lenteur qu’elle met à s’agenouiller, dans la façon dont le geste suit