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elle n’a pas autant d’habitude de la scène qu’elle pourra en acquérir lorsqu’elle aura plus d’expérience. J’ai fait encore bien d’autres remarques tout aussi profondes ; mais je demande la permission de ne pas disputer sur le présent, quand l’avenir me semble clair, et de ne pas compter les plumes qui tombent au premier coup d’aile d’un oiseau qui s’envole.

Certes, c’est toujours un spectacle touchant, et qui dispose à la bienveillance, que l’apparition d’une jeune fille qui se hasarde pour la première fois en public dans une carrière où elle a mis toutes ses espérances. Mais quand on sait d’avance quelle est cette jeune fille, quand on la connaît, comme nous connaissions tous Mlle Garcia, pour une personne remplie de talens, de mérite et de modestie, chez qui une excellente éducation a fécondé la plus riche nature, ce spectacle alors fait plus que toucher, il commande le respect, et éveille en même temps la plus vive sollicitude. La première représentation d’Othello avait attiré à l’Odéon ce qu’on appelle tout Paris ; lorsque sur la ritournelle mélancolique de l’air d’Elysabeth, Mlle Garcia est entrée en scène, il y a eu d’abord dans la salle un moment de silence. La jeune artiste était émue, elle hésitait ; mais, avant qu’elle eût ouvert la bouche, des applaudissemens unanimes l’ont saluée de toutes parts. Était-ce la mémoire de la sœur que nous avons tant aimée ? N’était-ce qu’un généreux accueil fait à une débutante qui tremblait ? Personne, peut-être, ne s’en rendait compte. Chacun des premiers sons, encore voilés par l’émotion, qui sortirent des lèvres de Pauline Garcia, furent, pour ainsi dire, recueillis par la foule, et suivis d’un murmure flatteur. À la première difficulté qui se présenta dans le chant, le courage lui revint tout à coup ; les applaudissemens recommencèrent, et, en un quart d’heure, une belle destinée fut ouverte ; ce fut une noble chose qui fait honneur à tous.

On ne saurait trop louer l’Othello de Rossini ; je ne sais pas s’il passera de mode, car la mode en musique est effrayante. Il n’y a pas d’art plus périssable au monde, et on peut lui appliquer, mieux qu’à la peinture, ce vers de Dante :

« Muta nome perchè muta lato. »

Quoi qu’il en soit, pour nous, qui sommes de notre temps, l’opéra d’Othello est un chef-d’œuvre. Je ne parle pas, bien entendu, du libretto. Il est même curieux de voir jusqu’à quel point on a pu si peu et si mal faire avec une pièce de Shakspeare. Mais quelle puissance dans le génie qui a su écrire un duo sublime sur ces quatre méchantes rimes

« No più crudele un’anima
« No, che giammai si vide
 ! etc. »

Je ne sais même pas si c’est de l’italien.

L’Othello de Rossini n’est pas celui de Shakspeare. Dans la tragédie anglaise, maîtresse tragédie s’il en fut, la passion humaine conduit tout. Othello, brave, ouvert, généreux, est le jouet d’un traître subalterne qui l’empoisonne lentement. L’angélique pureté de Desdémone lutte, par sa seule douceur, contre tous les efforts d’Iago. Othello écoute, souffre, hésite, maltraite sa