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REVUE. — CHRONIQUE.

Le bruit se répand que M. Schneider se prépare à quitter le portefeuille de la guerre. On ne l’aurait pas trouvé, les uns disent assez habile, les autres assez docile. Il est à craindre que la modestie n’empêche M. le président du conseil de proposer au roi l’homme que nul ne peut remplacer dans l’hôtel de la rue Saint-Dominique, celui que ses antécédens, ses travaux, sa renommée, sa gloire, que tout, en un mot, appelle à la direction et au commandement de notre armée, le ministre de la guerre par excellence. Diriger à la fois deux ministères, dont l’un par personne interposée, est une entreprise pleine de difficultés et de périls. Les plus habiles y ont échoué.

Au surplus, ce bruit se dissipera peut-être, et le ministère se présentera aux chambres, très probablement, sans modification aucune.

Il ne se trouvera pas en présence d’une coalition. S’il doit tomber à la session prochaine, il ne sera pas renversé bruyamment, de propos délibéré, uniquement pour vaincre, sauf à voir après s’il y a possibilité d’user de la victoire. Dorénavant, les mécontens prendront mieux leurs mesures, et se rappelleront mieux leur Montaigne : « Le fruict du trouble ne demeure guère à celui qui l’a esmeu ; il bat et brouille l’eau pour d’aultres pescheurs. »

Il est sorti cependant de grands et utiles enseignemens des vicissitudes parlementaires et gouvernementales de la session dernière. Dans tous les rangs, les résultats ont dû dessiller tous les yeux capables de s’ouvrir à la lumière : il a dû se faire plus d’un retour sur soi-même et plus d’une réflexion. Tout homme de quelque valeur, quel que fût son drapeau, a dû enfin reconnaître qu’il y avait, à son insu peut-être, quelque chose de faux et de factice dans sa situation. Il y a neuf ans, toutes nos notabilités parlementaires, à l’exception de quelques hommes de la gauche et de quelques légitimistes, combattaient sous le même étendard, et en réalité ils voulaient tous la même chose, même ceux qui escrimaient les uns contre les autres à propos du quoique et du parce que, car il est par trop évident qu’ils avaient tous raison. Plus tard, cependant, ces mêmes hommes se sont trouvés dans deux, trois, quatre camps différens. Ils avaient donc changé d’avis, ils ne voulaient donc plus les mêmes choses ? Au contraire, et la preuve en est qu’appelés ensemble ou séparément au maniement des affaires, ils ont tous professé les mêmes principes, combattu vigoureusement les mêmes adversaires, défendu les mêmes institutions ; que tous veulent la monarchie, la dynastie, la charte, la grandeur et la dignité de la France, l’instruction du peuple, le développement de l’industrie, le progrès en toute chose, mais le progrès graduel, réfléchi, justifié par les faits sociaux. Il a pu se rencontrer quelque différence d’opinion sur des questions spéciales, sur des questions de fait ou d’opportunité ; cela ne constitue ni plusieurs partis, ni même plusieurs nuances politiques. Il faudrait pour cela des idées incompatibles, des principes opposés.

Qu’est-il donc arrivé ? Une chose fort naturelle et fort excusable. Les lions par instinct n’aiment pas à marcher en troupe : leur premier mouvement est de s’isoler. Les hommes faibles s’associent par nature ; la tendance naturelle des hommes forts est de se séparer des hommes forts. La réflexion et l’expé-