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REVUE. — CHRONIQUE.

Moscou, la puissance anglaise étend sans cesse les bras dans les Indes. Elle vient de saisir Ghizny et Caboul. L’Angleterre aussi abat et élève des trônes, s’entoure de princes indiens qui ne sont que ses préfets, et prépare de nouvelles incorporations et de nouveaux agrandissemens à ses immenses possessions dans l’Asie. Nul ne sait ni où ni comment, mais l’obstacle insurmontable se montrera tôt ou tard ; le jour de la réaction arrivera : il est arrivé pour toutes les monarchies colossales, pour Rome, pour l’empire napoléonien, et l’Angleterre n’a pas ici-bas le privilége de l’infini.

En ce moment, ses préoccupations et ses inquiétudes, et un peu aussi l’humeur fantasque et l’esprit prime-sautier de lord Palmerston, l’ont jetée loin du but dans la question capitale du jour, la question d’Orient. La marche à suivre paraissait cependant bien naturelle et bien simple. L’Angleterre, la France et l’Autriche avaient également à redouter les entreprises de la Russie sur l’Orient et les conséquences du traité non reconnu d’Unkiar-Skelessi. Quoi de plus simple que d’intervenir, comme on l’a fait, pour arrêter les hostilités entre la Porte et le pacha, en les invitant en même temps, dans leur propre intérêt musulman, à conclure de leur plein gré un traité définitif ? En attendant, par la seule réunion des flottes, on aurait pris une position formidable, mais qui n’aurait fourni aucun prétexte et aurait ôté toute envie aux Russes de jeter un corps d’armée à Constantinople, prétexte au surplus que ne cherchait pas, envie que n’avait point dans ce moment le cabinet russe.

On a préféré se porter médiateurs actifs, se constituer gérans d’affaires de la Turquie et de l’Égypte. Soit. C’est le temps des interventions, des conférences et des protocoles. Partout où l’influence européenne peut atteindre, il n’y a de fait que cinq ou six états qu’on puisse sérieusement appeler indépendans. Le rôle de l’Angleterre dans ces négociations n’aurait pas dû être l’objet d’un doute sérieux. Déjà alliée de la France, elle n’avait qu’à chercher la coopération de l’Autriche et de la Prusse, et à accepter celle de la Russie, s’il lui convenait de la donner, pour déterminer le sultan et Méhémet-Ali à signer plus promptement encore le traité qu’ils auraient fait ou dû faire, si on les avait laissés à eux-mêmes. Le pacha avait pour lui à la fois une longue possession et la victoire, tout ce qui transforme le fait en droit ; la conclusion était évidente. La paix aurait été rétablie et l’empire ottoman aurait été sauvé, car l’essentiel n’est pas de savoir s’il aura un ou deux chefs, mais s’il existera ou non, si ses positions les plus importantes deviendront ou non la conquête d’une puissance européenne. Mais d’un côté la Russie ne se souciait point, on le comprend, de voir la question d’Orient décidée dans un congrès à la pluralité des voix. Elle n’aime les congrès que lorsqu’elle espère y pouvoir étouffer la liberté d’un peuple. D’un autre côté, l’Angleterre est pleine de soupçons, d’inquiétudes, d’incertitudes peut-être, à l’endroit de l’Égypte et de la Syrie, et lord Palmerston n’est pas homme à contenir ses antipathies et ses préventions à l’égard du pacha d’Égypte.

On sait tout le parti que les Russes ont cherché à tirer de ces dispositions de l’Angleterre. C’était leur droit, et, il faut le reconnaître, ils ont habilement