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REVUE. — CHRONIQUE.

il veut se réserver le moyen de faire entendre à tous ses adversaires son redoutable quos ego.

Don Carlos est toujours à Bourges. On paraît avoir compris que rien ne serait plus inopportun que de lui délivrer des passeports au moment où ses lieutenans résistent à ses ordres apparens ou réels, et où sa sortie de France serait représentée, aux populations abusées, comme une reconnaissance tacite de ses prétentions royales. Le départ de don Carlos pour l’Allemagne, avant l’entière pacification des provinces, n’a été possible que le jour de son entrée en France. Alors le gouvernement français aurait agi de son propre mouvement ; en l’envoyant en Autriche, il pouvait dire qu’il l’éloignait davantage de l’Espagne et des légitimistes français, que sa garde en France était difficile et nullement nécessaire, que l’Autriche, après tout, n’avait aucun intérêt à lui permettre de rallumer la guerre civile dans un moment où la question d’Orient devait faire désirer au gouvernement autrichien que rien ne vînt distraire l’attention et les forces de la France et de l’Angleterre. Bonnes ou mauvaises, ces raisons étaient du moins plausibles, et n’avaient rien de contraire à la dignité nationale. Aujourd’hui, la délivrance des passeports ne serait qu’un acte de faiblesse ou un fait inexplicable. La France, usant d’un droit incontestable, a cherché, dans une mesure très compatible avec les égards dus à la grandeur déchue et aux erreurs politiques, une garantie contre le retour sur ses frontières d’une guerre civile qui n’était pas sans quelque danger pour elle, et qui l’obligeait à de grands sacrifices. Pourquoi changerait-on d’avis ? Les lieutenans de don Carlos ont-ils déposé les armes ? Don Carlos, du moins, a-t-il reconnu la reine Isabelle, et ôté par là tout prétexte à l’insurrection ? Non. Dès-lors, pourquoi le gouvernement français renoncerait-il à une garantie qu’il a déclaré lui être nécessaire ? Quel est le fait nouveau qui pourrait justifier sa résolution ? Que dirait-il aux chambres, à la France, pour prouver qu’il devait retenir don Carlos à la fin de septembre, et qu’il doit lui ouvrir la frontière au commencement de novembre ?

Nos relations avec l’Espagne ont dû aussi entrer en ligne de compte dans les délibérations du conseil au sujet de don Carlos. Le parti exagéré n’est pas, à vrai dire, fort nombreux dans la Péninsule ; là, comme ailleurs, il est plus encore tracassier qu’habile, plus bruyant que redoutable. La grande majorité de la nation est franchement ralliée autour du trône, et obéit à ses habitudes monarchiques. Heureusement pour l’Espagne : car le lien politique de ses provinces est encore si faible, qu’elle serait menacée de dissolution le jour où le pouvoir royal ne serait plus assez fort pour maintenir l’unité. Cependant le ministère espagnol est faible ; il manque lui-même d’unité, de force, de capacité. Au lieu de profiter de la convention de Berga pour renvoyer les députés devant leurs électeurs, et demander à la reconnaissance nationale une chambre moins divisée et toute pénétrée des vrais besoins du pays, qui sont dans ce moment l’ordre et la force, il a compté sur l’enthousiasme de la chambre elle-même, comme si les hommes de parti se modifiaient du jour au lendemain, comme s’ils se laissaient toucher par les succès de leurs adversaires, comme si