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lent, et on y retrouve le caractère sain et élégant du style de M. Daunou. Oserai-je objecter cependant qu’à quelques rares momens, dans cette notice, l’illustre écrivain semble quitter un peu ce ton de parfaite modération qui lui est habituel ? À propos de doctrines philosophiques modernes, les mots d’insensées et de prétendues ne semblent plus dans la manière habilement réservée d’un sage qui sait si bien le doute, d’un écrivain qui sait si bien les détours. Dans la biographie de Parent-Réal, où M. Daunou a dignement rappelé un caractère recommandable, ne se serait-il pas exagéré à lui-même les difficultés de vivre sous la restauration dans je ne sais quelle petite ville de province ? Nous n’aimons pas plus que M. Daunou un régime hostile aux libertés publiques et aux sympathies générales ; mais ces expressions « d’intolérable, » de « temps mauvais, » ne sembleraient-elles point supposer des fureurs civiles ou un despotisme digne des époques les plus fatales de l’histoire de France ?

En somme, M. Daunou gagne à être un peu gêné ; cela le force à se montrer malin, et son esprit en triomphe avec charme sous les convenances imposées et jusque sous le décorum académique. Qu’on se rappelle, en effet, ce bel éloge de M. de Sacy et les sacrifices méritoires qu’il y a faits de certains préjugés du XVIIIe siècle ; qu’on lise surtout cette admirable biographie de saint Bernard, dans l’Histoire littéraire, biographie qui est un chef-d’œuvre de science étendue, de profondeur morale, et aussi de critiques détournées et fines.

La Vie de Tacite, composée pour être mise en tête de la traduction de l’historien dans la collection que dirige M. Nisard, fait souvenir des fermes et éloquentes pages, déjà consacrées par M. Daunou à ce grand peintre de l’antiquité. J’y admire, jusque dans les portions les plus succinctes, la sûreté et le goût d’une plume qui sait atteindre au complet du genre en se bornant. Qu’une telle vieillesse, dans sa perfection, est belle !