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REVUE LITTÉRAIRE.

infranchissable ; quand je voulais en approcher, de sombres nuées venaient le couvrir. Je crois que Gray n’avait jamais aimé : c’était le mot de l’énigme… » On sent tout le charme qu’il y avait à causer parfois avec l’aimable vieillard. Espérons que ces Souvenirs relus donneront l’éveil, que les correspondances nombreuses, les papiers de Bonstetten, recueillis aux mains de quelque biographe attentif, réaliseront un jour ce que lui-même n’a pas achevé. Déjà, tout près des lieux habités par lui, M. Charles Eynard, neveu du philhellène, vient de publier une volumineuse et très intéressante biographie du célèbre médecin Tissot. Il en prépare en ce moment une autre, non moins complète de Mme de Krüdner dont il possède quantité de lettres. Nous savons qu’il pense à Bonstetten aussi, et nous voudrions de plus en plus l’y convier.


Œuvres complètes d’Hippocrate, traduites par M. Littré[1]. — Le premier volume de ce grand ouvrage avait à peine paru, il y a quelques mois, que l’auteur trouvait immédiatement la juste récompense de sa science profonde d’helléniste et de son remarquable talent d’écrivain dans le choix empressé de l’Académie des inscriptions. Cette distinction était méritée, à notre sens, et, nous devons le dire, elle honorait autant l’Institut que M. Littré. Déjà l’Académie avait repris la bonne voie en nommant M. Charles Magnin ; aujourd’hui l’élection du traducteur d’Hippocrate semble indiquer pour l’avenir les mêmes et louables tendances. Tout le monde sait en effet que cette compagnie illustre, entravée par de misérables coteries qu’on ne devait pas s’attendre à rencontrer en lieu aussi sérieusement scientifique, s’était longtemps laissée entraîner à d’incroyables exclusions, à des préférences dont l’esprit de parti seul ne voyait pas le ridicule. On ne veut ici nommer personne ; mais ne suffisait-il pas, hier encore, de la connaissance quelquefois douteuse de je ne sais quel idiome oriental dont on pouvait donner en France quelque production bien pâle d’après les traductions anglaises ; ne suffisait-il pas de quelque interprétation médiocre, de quelque livre bien lourd, violant à toute page la syntaxe, de quelque édition sans critique et sans correction de texte, pour voir s’ouvrir au plus tôt les portes de l’Académie des Inscriptions ? Un corps qui possède des écrivains aussi éminens que M. Daunou, M. Guizot et M. Thierry, des savans aussi célèbres que M. Letronne et M. de Pastoret, avait droit, ce semble, d’être plus exigeant dans ses choix et de ne pas laisser passer de la sorte en des mains indignes le noble et officiel héritage de l’érudition française. L’entrée de M. Magnin et de M. Littré indiquent des dispositions meilleures qu’il importe de signaler au public. En se hâtant d’admettre dans son sein deux écrivains qui manient la langue avec une égale habileté, et qui ont chacun un style propre et une manière excellente, l’Académie a largement réparé le scandale de plusieurs choix où les considérations grammaticales et l’estime du bon langage étaient entrées pour fort peu de chose.

L’œuvre que M. Littré a commencée sur Hippocrate est immense et lui a déjà

  1. Tome I, in-8o, 1839 ; chez Baillière, 17, rue de l’École de Médecine, et à Londres, 219, Regent-Street.