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REVUE LITTÉRAIRE.

compagnie des quarante ne soit faite que pour les écrivains de métier et de mérite, qu’elle ait pour rôle de les recruter exactement par ordre de travaux et même de talent. Cela est si vrai, qu’on peut citer des talens de premier ordre qui ne paraîtraient pas et ne se sentiraient pas à leur place à l’Académie : Béranger, par exemple, ou M. de La Mennais. L’Académie est un salon dont l’entrée confère certains honneurs. Comme dans tout salon, il y a, indépendamment du fonds et de la valeur absolue, certaines conditions sociales, une convenance extérieure qu’il faut remplir, que surtout il ne faut pas violer. Jean-Jacques Rousseau ne pouvait pas être de l’Académie française sans perdre la moitié de sa force, et sans mettre une sourdine à ses accens les plus vibrans. Ces conditions sociales, comme je les entends, entrent pour une si grande part dans ce premier salon littéraire qu’on nomme Académie française, qu’elles emportent quelquefois le fonds, et suffisent pour désigner les choix. L’urbanité, le bon goût, l’usage pur et choisi de la langue, dans certaines positions élevées qui font exception, me semblent, même encore au XIXe siècle, un titre très réel pour être convenablement de l’Académie. Un archevêque de Paris (pour prendre un exemple) qui se ferait remarquer par la modération, le bon ton et le bien dire en ses mandemens, serait toujours des mieux placés parmi les quarante. Ce n’est pas uniquement à l’Académie des sciences morales et politiques que pourrait prétendre un homme d’état, nourri aux bonnes lettres, aux traditions françaises classiques, héritier d’un grand nom, le justifiant par l’intelligence de son temps et par de continuels services, auxquels vient s’ajouter, au milieu des luttes de tribune, le succès d’une parole aisée, positive, spirituelle et toujours polie : lorsque M. Molé fut un moment sur les rangs pour l’Académie française, nous aurions trouvé que la compagnie n’eût pas trop mis du sien dans la bonne grace de ce choix ; il est tel soi-disant écrivain dont il ne serait pas malheureux de se priver moyennant ce biais-là. Encore une fois, l’Académie est un salon, et, à ce titre, quelque fantaisie dans la composition ne messied pas. Cela dit, il reste vrai que le plus grand nombre des fauteuils appartient de droit au talent pratique, éprouvé, laborieux, des gens de lettres éminens. Si M. Victor Hugo se présente sérieusement, nous pensons, même en face de M. Berryer, que l’Académie se ferait tort de le repousser par je ne sais quelle mauvaise humeur plus prolongée. Que peut désirer de plus l’Académie que de voir M. V. Hugo ambitionner son suffrage ? Son talent est de ceux que nul ne conteste désormais ; si l’usage qu’il en fait n’agrée pas à tous, c’est là une question secondaire, et sur laquelle l’Académie peut toujours poser ses réserves en s’ouvrant au poète. Je m’imagine volontiers la séance académique la plus piquante, la plus animée et la plus contrastée qui se soit vue depuis long-temps ; celle où M. Villemain a reçu M. Scribe n’était qu’un faible prélude : cette fois, c’est M. Villemain (ministre encore, peu importe ! je ne prétends certes pas lui retirer son portefeuille pour cela), c’est lui donc, je suppose, qui reçoit M. Victor Hugo. Le lion est descendu dans l’arène ; chacun l’approche et le touche ; il est chargé des liens académiques ; il ne blessera pas, on en est sûr ; n’est-ce pas le moment, puisqu’il l’a voulu,