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MÉLANCTHON.

du temps, animée par le courage du devoir, suffit plus d’une fois pour dissiper des séditions.

Qu’on imagine maintenant ce qui put se former d’élèves et de maîtres distingués, pendant un enseignement de quarante années, à la voix si persuasive et par les écrits si naturels et si pratiques de ce grand homme ; qu’on songe à ces académies qu’il fut appelé à organiser sur le modèle de celle de Wittemberg ; à tant de professeurs choisis par lui, sur la demande de toutes les villes de l’Allemagne, lesquels y répandirent sa méthode après l’avoir apprise de lui ; qu’on ajoute à ce nombre l’immense multitude d’étudians qui, à divers degrés, furent touchés par cet esprit supérieur, et gardèrent des marques d’un enseignement d’autant plus efficace qu’il était plus général et on s’expliquera ce titre glorieux de précepteur commun de l’Allemagne qui lui fut décerné par son siècle, et que les siècles suivans ne lui ont pas ôté.

Il fut aussi, à certains égards, le précepteur de la France, quoiqu’il n’y ait pas enseigné de sa personne. Calvin, par qui se formaient nos meilleurs esprits de ce temps-là, s’était formé par la méthode de Mélancthon. Nos étudians apprenaient le latin dans ses grammaires. J’ai sous les yeux un exemplaire de ses institutions de rhétorique, « bien autrement traitées qu’auparavant, » dit le libraire François Regnault, et qui porte la date de 1529. Dès 1526, cette rhétorique était populaire dans nos écoles[1]. Ses écrits de théologie, très lus et très admirés, formaient le goût de ceux même dont ils ne changeaient pas la foi. Je n’y trouve rien d’essentiel qui ne fasse partie du fond même de l’esprit français, ni aucune qualité de composition et de style qui ne soit obligatoire pour nos écrivains. Si l’influence de Mélancthon fut directe, quelle reconnaissance ne devons-nous pas à ce grand homme ? Si, ce qui ne le diminuerait point, l’esprit français n’a fait que suivre la même voie que l’esprit de Mélancthon, par ses propres forces, mais non toutefois sans le connaître, je le vénérerais encore pour cette fraternité avec nos grands écrivains, et comme me confirmant dans l’excellence de leur art et dans la légitimité de leurs doctrines.

Qui peut apprécier tout ce que cet esprit si admirablement tempéré, vif sans témérité, facile sans relâchement, éloquent sans déclamation, toujours et en toutes matières solide et vrai, dut faire entendre, dans un enseignement de quarante années, de choses sen-

  1. Gotschedii or. ad memor. Communis Germaniæ proeceptoris Philip. Mel.