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écrits est l’emploi même de ses ressources les plus naturelles, de ses moyens les plus simples, appliqués à d’autres matières et à une autre cause : le défaut en est une certaine superstition qui allait jusqu’au plagiat. Ainsi dans les diètes, figurées à l’instar des assemblées antiques, l’orateur s’interrompt comme Démosthènes, pour faire lire par un secrétaire, imité du greffier athénien, les articles qui font l’objet de la discussion. L’art des orateurs est souvent confondu avec les expédiens des rhéteurs, et le grand goût des hommes de génie avec le goût puéril des écoles. Au lieu de s’en tenir à ce qui, dans l’esprit ancien, est conforme à l’esprit humain, on calquait jusqu’à ces circonstances de détail qui varient selon le temps et la forme des sociétés, et, dans un pays chrétien, on voulait avoir à la fois l’éloquence et la tribune antiques. Mais l’effet général n’en était pas moins excellent, et cette imitation servile de l’appareil antique n’y nuisait pas en aidant la raison humaine à retrouver ses voies par des images de ces temps admirables.

Ce serait pousser trop loin l’éloge que d’attribuer à Mélancthon tout seul l’honneur d’avoir appelé la renaissance au secours de la réforme. Luther, de son regard supérieur, avait bien vu le service qu’on pouvait tirer des lettres anciennes, et, avant de connaître Mélancthon, il les avait assez étudiées pour être, même en ce point, plus exercé qu’aucun de ses adversaires. Mais il ne sentait pas le besoin de s’y perfectionner, et s’enfonçait de plus en plus dans la théologie, si favorable à la subtilité de son esprit et à la hardiesse de son imagination. Érasme, et c’est sa gloire, avait toujours mêlé les études littéraires aux études théologiques, éditant de la même main les pères du christianisme et les auteurs profanes ; mais son goût, moins fin que celui de Mélancthon, le portait plutôt vers la négligence abondante des pères que vers la perfection des anciens. Ses écrits théologiques, outre leur indécision, tantôt calculée, tantôt sincère, ne sont piquans que par leurs railleries sur la grossièreté illettrée des moines. Il y manque la proportion, le plan, et cet art merveilleux des anciens, si c’est un art que de se conformer à l’esprit humain, de se rendre accessible à tout le monde, quoique à des degrés divers, et à chacun dans la mesure de son intelligence et de son savoir. Or, c’est cet art que retrouva Mélancthon, et qui, joint à sa sincérité en toutes circonstances, et à sa décision dans les choses essentielles, en fit le premier théologien de la réforme pour la propagation et l’enseignement de la doctrine.

Je crains qu’aux yeux de certaines personnes dont la foi peut être