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Les livres des anciens sont comme leur politique : celle-ci se faisait sur le Forum ou l’Agora, en plein jour, par la communication et la discussion. Les livres se faisaient comme la politique, en vue et avec le contrôle de tous. L’art des anciens n’est que la connaissance des routes les plus sûres et les plus directes pour arriver à l’intelligence d’autrui, et pour accommoder le génie aux esprits les plus ordinaires, sans le faire descendre. C’est aux anciens que Mélancthon prit ses plans, sa netteté dans l’exposition, l’art de grouper les preuves, de proportionner un sujet ; la clarté, cette lumière qui n’éclaire pas tout le monde au même degré, mais qui ne laisse personne dans l’obscurité ; le naturel de l’expression, qui n’est que le langage le plus général et le plus approprié : c’est à ces qualités qu’il dut cette puissance que tout le monde contesta et que tout le monde subit. La Confession d’Augsbourg, son plus beau livre comme théologien, est un ouvrage antique par la méthode. Or, ce livre lui a survécu et demeure encore. Vainement Luther l’affaiblit, d’abord par son refus de concours, tandis que Mélancthon l’écrivait, ensuite par ses désaveux, quand il parut ; vainement les sacramentaires et l’église de Strasbourg, par l’éclat de leurs réserves ; tous les exagérés, par la peur de ne pas demander assez ; tous les beaux-esprits, par le désir de se distinguer en se départant, s’agitèrent pour le discréditer : le livre résista. Il résista par sa méthode même, qui en avait exclu toutes les exagérations particulières de chacun des chefs, et n’y avait fait entrer de leurs sentimens que ce qui pouvait être consenti par tous et compris du public. Plus d’une fois, au début de certaines diètes, on parut s’entendre pour rejeter ce code, qu’on s’étonnait d’autant plus de subir, que l’auteur lui-même ne cherchait pas la domination. Les discussions s’ouvraient, soit sur les points qui n’y avaient pas été résolus, soit sur quelques-uns de ceux qu’il comprenait, mais que l’on posait dans d’autres termes, comme pour secouer au moins le joug de la rédaction consacrée ; mais bientôt les excès de l’interprétation ou du droit d’initiative de chacun ramenaient tous les disputeurs, comme à leur insu, au livre de Mélancthon ; de sorte que celui de tous les réformateurs qui paraissait avoir fait le plus de sacrifices, revenait par le fait de moins loin que tous les autres. À force de se dérober, Mélancthon avait fini par se faire suivre de tout le monde.

Les plus éclairés de ses contemporains appréciaient très bien sa position à cet égard. Ils le regardaient comme envoyé de Dieu, non moins manifestement que Luther, pour éclaircir la doctrine et l’assurer. Dans l’imagination populaire, Luther découvrait des terres