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MÉLANCTHON.

XVI. — MORT DE MÉLANCTHON.

L’année 1560 trouva Mélancthon occupé de sa fin, et déjà touché de cette tristesse douce que donne à l’homme le mieux préparé l’approche solennelle de la mort. Depuis quelques mois, il priait Dieu tous les jours, à son lever, de lui adoucir ce passage. Mélancthon avait alors soixante-trois ans. C’était une année climatérique, où, dans ce temps-là, chacun se recueillait, s’attendant également à recommencer sa vie ou à la voir finir. Mélancthon en parlait souvent avec une piété mêlée de superstition, disant qu’il lui avait été prédit par un célèbre mathématicien et médecin, Jean Virgund, que les astres lui comptaient les années jusqu’à soixante-trois, mais que, passé ce nombre, ils ne parlaient plus. Il laissait voir par d’autres paroles qu’il ne se croyait pas loin de sa mort. Quand on lui parlait d’intrigues ourdies contre lui par ses ennemis : « Je ne les embarrasserai pas long-temps, disait-il, de mon opposition[1]. »

Il traversa pourtant sans maladie l’année climatérique ; mais c’était une opinion générale que les dangers de cette année étaient souvent différés à la suivante. On l’avait remarqué de Luther, mort trois mois après l’époque fatale, et les amis de Mélancthon n’étaient point rassurés par son air de santé. Lui-même n’en continua pas moins de prédire sa fin, et de s’y accoutumer. Son corps s’amaigrissait, et, quoiqu’il conservât la même capacité de travail, ses amis remarquaient qu’il perdait de sa facilité. Ce fut à son retour de Leipsick, où l’électeur de Saxe l’avait envoyé présider des examens, que Mélancthon sentit les premières atteintes du mal qui devait l’enlever. Il éprouva de vives douleurs dans la nuit du 7 avril. Peucer, son gendre et son médecin, effrayé des symptômes, fit écrire à Camérarius, avec lequel Mélancthon était lié depuis quarante ans d’une amitié si étroite, qu’il se hâtât de venir à tout évènement.

Le matin, dès le point du jour, Mélancthon voulut reprendre ses travaux ordinaires, pensant trouver encore ses forces ; mais, déjà frappé de cette faiblesse qui est le commencement de la mort, il écrivit d’une main tremblante à un de ses amis qu’apparemment Dieu voulait l’enlever au synode que les Flacciens allaient provoquer. Puis s’interrompant pour parler avec son gendre de sa maladie : « Si

  1. Orationes, epitaphia et scripta quæ edita sunt de morte Philippi Melancthonis, Wittemberg, 1561.