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MÉLANCTHON.

était le chef ; mais l’ambition d’Osiandre était plus vaste. Illyric ne voulait que les conséquences extrêmes du luthéranisme ; Osiandre aspirait à être chef de doctrine et à innover dans le dogme. Il avait commencé par donner des leçons d’hébreu dans le couvent des Augustins à Nuremberg. Remarqué dès ce temps-là pour la vivacité de son esprit et l’étendue de son savoir, mais redouté pour sa rudesse et son orgueil, il fit admirer l’éloquence de ses attaques contre les superstitions des moines. Depuis lors, il avait toujours fait partie, à titre de théologien de Nuremberg, de toutes les députations que cette ville avait envoyées aux diètes.

Il avait une grande connaissance des langues, et du savoir sur toutes choses ; mais il gâtait ces dons excellens par beaucoup d’opiniâtreté, par un orgueil souffrant et envieux, et par des opinions extraordinaires qu’il couvait long-temps en lui et qu’il ne laissait pénétrer de personne. L’occasion venue, il les divulguait au hasard, sans retenue ni mesure, et son audace étonnait d’autant plus qu’elle avait été plus long-temps contrainte. Mélancthon l’accusait avec raison d’avoir assisté à toutes les délibérations d’Augsbourg, sans adhérer ni contredire, sans aider en rien ceux qui tenaient la plume, s’enveloppant d’un silence orgueilleux et défiant, et paraissant borner son ambition à ce qu’on s’inquiétât de sa réserve. Il avait été vingt ans sans s’ouvrir. Enfin il éclata, et laissa voir la prétention de réformer Luther lui-même.

À Nuremberg, le régime de l’Intérim le gênait, et d’ailleurs le parti modéré l’emportait. Il quitta cette ville et vint dans le Brandebourg, auprès d’Illyric et des autres, apportant une nouvelle interprétation de la justification, qu’il attribuait, non plus aux mérites du Christ, mais à la justice de Dieu. Ce fut la grande nouveauté qu’il introduisit dans la réforme ; mais cette nouveauté ne touchait que les théologiens, et il fallait faire la part de la multitude. Mélancthon et l’église saxonne lui en fournirent la matière. Il les attaqua par des écrits et des prêches dont la violence émut tout le Brandebourg, d’ailleurs plus porté aux excès d’opinion, la réforme y étant plus récente et sans discipline. « Il souffle sur moi de la Baltique des vents furieux, écrit Mélancthon à Camérarius. J’entends parler de menaces. Ce harangueur du peuple dit qu’il me coupera une veine d’où le sang jaillira sur toute l’Allemagne[1]. » Ceux de la confession d’Augsbourg exigeaient de tout aspirant au titre de professeur de théologie

  1. Corp. ref., tom. III.