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MÉLANCTHON.

thon, lui faire son procès et le mettre à mort. Le roi des Romains, Ferdinand, fit engager Maurice à l’éloigner, l’avertissant qu’il pourrait bien arriver que l’empereur lui écrivît de le livrer. Maurice répondit qu’il avait promis à Mélancthon protection et sûreté, qu’il avait besoin de lui pour conserver l’église et la discipline dans ses états ; toutefois il le tint quelque temps caché dans un monastère sur la Mulde.

Rentré à Wittemberg, Mélancthon apprit la mort de sa fille Anna, femme de Sabinus. L’habitude de gémir, de prévoir les malheurs, d’en souffrir d’avance, l’ancienneté de ses blessures, avaient affaibli sa sensibilité. Il est touchant néanmoins de le voir consoler Sabinus et lui offrir une amitié sans arrière-pensée. « Vos enfans, lui écrit-il, seront les miens. L’amour que j’ai eu pour ma fille, je le reporterai sur ses enfans. Envoyez-moi, ajoute-t-il, ou toutes vos filles, ou quelques-unes. Elles seront élevées, avec l’aide de Dieu, doucement et fidèlement comme leur sœur, à la connaissance de Dieu et aux devoirs de leur sexe. Dois-je les venir chercher moi-même, ou y envoyer un ami fidèle ? Je désire surtout que vous permettiez à Marthe de venir près de sa sœur. Les périls de la guerre ne m’effraient pas tellement que je ne souhaite de vivre au milieu de tous les miens[1]. »

Les dernières victoires de Charles-Quint, en opprimant tout le parti réformé, l’avaient empêché de s’apercevoir qu’il lui manquait un chef spirituel, depuis la mort de Luther. L’éloignement de ce prince, en réveillant avec la liberté les dissentimens qui en sont l’effet immédiat, fit sentir à ce parti le besoin d’un chef ; car les partis ont cet instinct contradictoire qu’en même temps qu’ils demandent l’extrême liberté pour chacun, ils veulent un chef pour commander à tous. Il n’y avait qu’un homme assez considérable pour remplir ce rôle ; c’était Mélancthon. Mais il n’y était appelé ni par ceux qui pensaient que la réforme était allée assez loin, ni à plus forte raison par ceux qui la voulaient radicale. Disons même qu’à cette époque il n’y avait plus aucun rôle qui lui convînt, et que son temps était fini comme réformateur. Mais ses écrits, son autorité, son école, subsistaient ; il continuait à enseigner, et il n’était guère plus possible de marcher sans lui qu’avec lui. Encore qu’il ne disputât la place à personne, et qu’attaqué de tous côtés il ne voulût ni se défendre ni se laisser défendre, toutefois il faisait obstacle par cette modération même, et

  1. Lettres, col. 184.