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poraine un principe de cohésion qui saisisse et rassemble enfin ses élémens épars. On se plaint que la France de la révolution résiste au pouvoir, que son sol soit mortel à tous les germes de durée. Mais a-t-on bien compris la manière de les y implanter ? a-t-on pris son génie intime pour point d’appui de tant de combinaisons avortées ?

Le régime républicain lui prêcha les lois de Lycurgue et le patriotisme des deux Brutus ; Napoléon voulut l’organiser sur un type emprunté à l’empire romain et à la monarchie de Charlemagne ; la restauration s’efforça tantôt de la ramener vers un passé qu’elle repousse, tantôt de revêtir la liberté française des formes aristocratiques que vous avez su lui donner : chimériques tentatives, plagiats impuissans, de quelque éclat qu’ils se revêtent ! Pour dompter une société qui n’a pas encore trouvé ses lois, il faut deux choses, comprendre et oser. Bucéphale avait renversé tous les écuyers de Philippe lorsqu’Alexandre osa braver sa fougue. Celui-ci avait deviné que l’immortel coursier avait peur de son ombre en la voyant s’allonger devant lui ; il lui mit la tête au soleil, et s’élança d’un bond sur sa croupe redoutable ; puis, se précipitant dans le stade, son bras souple et ferme sut si bien régler les mouvemens de l’animal sans les contraindre, en employant tour à tour et le mors et l’aiguillon, que le cheval s’inclina bientôt sous cette main héroïque. Grace au ciel, monsieur, ce n’est pas d’un demi-dieu que la France a désormais besoin : ce qu’elle demande à son gouvernement, c’est un peu de prévoyance et d’initiative combiné avec du sens et du patriotisme ; à ce prix elle pourra suffire à toutes ses destinées.

Dans ma prochaine lettre, nous embrasserons l’une des plus graves questions de ce temps, celle de la presse, et vous verrez qu’en cette matière le pouvoir a eu constamment le tort d’essayer des palliatifs sans valeur, au lieu de faire un usage loyal et public d’une arme qui ne serait en aucunes mains aussi puissante qu’entre les siennes.


L. de Carné.