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DU GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF EN FRANCE.
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Je reviendrai bientôt, monsieur, sur cette question capitale ; mais il est nécessaire, pour la mettre dans tout son jour, de montrer, en continuant la rapide exposition des faits, comment l’opinion publique s’est trouvée conduite, en France, à repousser l’élection à deux degrés, et à la juger avec une rigueur qu’elle ne méritait pas par elle même.

Bonaparte, en élevant l’édifice de sa fortune politique, n’était pas homme à repousser la garantie que lui avait léguée la législation du directoire. La constitution de l’an VIII établit trois degrés d’élection, déterminés par la liste de confiance, la liste départementale et la liste nationale. La première, devant contenir environ cinq cent mille noms, était composée d’un nombre égal au dixième de celui des habitans de l’arrondissement communal ; la seconde était formée par les citoyens portés à la liste communale, chargés d’élire un dixième d’entre eux ; enfin, la liste nationale était formée par les membres inscrits à la liste du département, dans la même proportion d’un dixième[1]. Sur ces listes devaient être choisis les fonctionnaires communaux et départementaux et les membres de la représentation nationale, c’est-à-dire ceux du tribunat et du corps législatif.

Mais c’est ici qu’éclate, dans toute son ironie, l’insolence de la victoire et le mépris pour un ennemi terrassé. Ces tribuns débonnaires et ces représentans sans parole étaient nommés par le sénat[2], chargé seul d’appeler à la vie politique les notabilités des départemens, avec lesquels il était sans nul rapport, et de résumer, au sein de sa servilité dorée, tout le mouvement de l’opinion publique. Si les pouvoirs faibles sont condamnés à n’être pas sincères, la vérité devrait être du moins l’éclatant attribut des pouvoirs forts : c’est en méconnaissant ce devoir de sa position et de son génie que Napoléon démoralisa la France et tua l’esprit politique. Il fit douter de la liberté, en la montrant emprisonnée dans le ridicule cortége d’institutions impuissantes. Pas un atome d’esprit public n’anima à aucun de leurs degrés ces assemblées prétendues représentatives ; et si, pour la confection des listes nationales, un petit nombre d’électeurs consentirent à se présenter, leur présence n’était due qu’aux instances des concurrens pour le prix annuel de 10,000 fr., affecté par le despotisme à une silencieuse obséquiosité

  1. Constitution directoriale de l’an III, tit. IV, art. 35.
  2. Constitution de l’an VIII, tit. Ier, art. 6-7 — Tit. II, art. 20.