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DU GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF EN FRANCE.

comparaître à l’assemblée du bailliage, avec les mineurs, femmes ou veuves également possédant fief, mandés dans la personne d’un procureur pris dans l’ordre de la noblesse[1] ; puis, vous apprenez en quelle forme se réunissent en leur ville, bourg ou paroisse, les habitans composant le tiers-état du royaume, les corporations d’arts libéraux, devant, dans cette réunion préparatoire, choisir un électeur à raison de cent individus[2] ; les corporations d’arts et métiers, celles des négocians, armateurs et autres, devant en nommer deux pour le même nombre ; vous voyez enfin ces délégués se réunir[3] pour rédiger ensemble le cahier de leurs griefs et doléances, et nommer leurs mandataires aux états-généraux, le clergé et la noblesse par une élection directe, le tiers-état par une élection à deux ou trois degrés, selon les circonstances.

Des hommes de la génération présente ont répondu à cette sommation solennelle, le dernier acte de souveraineté que la société de nos pères ait exercé en France ; et cependant sous quelles formes étranges et vagues doit leur apparaître depuis long-temps ce souvenir d’un monde évanoui ! Rendez grace à la Providence, monsieur, de n’avoir pas eu, comme nous, à sauter à pieds joints d’une civilisation dans une autre, de n’avoir pas vu la foudre entr’ouvrir soudain un abîme entre le monde où vous vivez et celui où vécurent vos pères. L’Angleterre a suivi les progrès des siècles, sans répudier la religion des âges. La France, au contraire, ne pouvant, par la fatalité des circonstances, arracher aux ruines écroulées autour d’elle, ni un enseignement ni un débris, dut improviser, comme un dithyrambe, l’œuvre entière de ses mœurs et de ses lois.

Deux idées dominaient seules alors cette scène de confusion, l’unité nationale et l’égalité des races humaines. Cette égalité n’allait pas, dans la pensée primitive de la révolution française, ainsi que je l’ai déjà établi, jusqu’à vouloir effacer les distinctions accidentelles ou natives entre les hommes ; mais elle imposait la difficile condition d’une organisation entièrement nouvelle. La fortune territoriale se présenta d’abord comme l’une des bases les plus naturelles de cette hiérarchie. Il va sans dire que dans cette théorie la propriété n’apparut plus avec le caractère emprunté au droit féodal, selon lequel la qualité de la terre régissait et dominait celle de la personne. Le cens électoral ne fut pour la constituante, aussi bien que pour toutes les assemblées qui l’ont suivie, qu’une présomption légale d’attache-

  1. art. 20.
  2. art. 26.
  3. art. 30 et suiv.