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sienne propre. Le classement de Solon marque à Athènes cette période qu’ouvre à Rome celui de Servius Tullius. La richesse devient la mesure des droits politiques, et la timocratie est fondée. Cependant une seconde lutte succède bientôt à la première ; le gouvernement du cens, qui a triomphé des influences patriciennes et des traditions héroïques, est vaincu lui-même par la démocratie, et la suite des temps le voit se noyer en Grèce dans une loquacité vénale, ou s’abîmer à Rome sous la tyrannie impériale.

Si les sociétés chrétiennes étaient emprisonnées dans le cercle d’airain tracé par Vico autour des sociétés antiques, nous devrions sans doute lire aussi dans le passé le redoutable arrêt de nos destinées. Après avoir épuisé, comme elles, et la sève des institutions paternelles et les ressources d’un organisme habile et compliqué, nous semblons toucher à l’instant qui leur fut si funeste. Mais comme moi, monsieur, vous croyez que c’est au sein des ruines et dans l’impuissance constatée de la raison humaine que le christianisme, ce sens nouveau de l’humanité, développe sa force transformatrice ; et c’est d’un verbe plus puissant que la parole politique que vous attendez ce mot de l’avenir qui relèvera l’intelligence dans ses chutes, le monde moral dans ses abaissemens, en ranimant au cœur des nations la vie défaillante et comme éteinte.

L’un des faits constitutifs du monde antique, la conquête, domine à l’origine du monde moderne, sous des formes sinon plus impitoyables encore, du moins plus universelles. Les vainqueurs assujétissent les vaincus par la loi, comme ils l’ont fait d’abord par la force, et le sol dont ils s’emparent devient le gage en même temps que le signe légal de leur prééminence. La terre possédée par eux se revêt en quelque sorte de leur noblesse et de leur fierté ; à elle se rattachent tous les droits, sur elle seule repose l’économie de la société tout entière. La terre règne, administre, combat et juge, car la loi des fiefs engendre et mesure tous les devoirs, toutes les obligations civiles et militaires. Elle régit tout, depuis la succession à la couronne jusqu’à la distribution de la justice dans les plus obscurs hameaux. Mais ces magnifiques prérogatives n’appartiennent qu’à la terre délimitée par l’épée du vainqueur, et à laquelle il a imprimé le sceau de sa supériorité native. Si quelques lambeaux s’échappent de ses mains, si des propriétés nouvelles se forment en dehors du droit féodal, ces terres de roture voient vainement mûrir la vigne au penchant de leurs côteaux, ou des gerbes abondantes dorer leurs plaines ; elles ne tiennent pas à cette chaîne immense dont le trône lui-même n’est que le