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dans la forme, dans les tours, dans le mouvement du style. Quoiqu’il y ait des exemples nombreux, dans les lettres comme dans les arts, de cette aptitude à l’imitation, je ne l’accorde pas sans regret, et surtout sans réserve, à Pelletier et à Denisot, qui n’ont jamais eu le bonheur de ressembler à Desperiers, si ce n’est dans les écrits de Desperiers où l’on veut qu’ils aient pris part. Je conviens très volontiers cependant que Desperiers, mort avant 1544, et selon moi en 1539, n’a pas pu parler de la mort du président Lizet, décédé en 1554 (nouvelle XIX), et de celle de René du Bellay, évêque du Mans, qui ne cessa de vivre qu’en 1556 (nouvelle XXIX). Il en est de même de deux ou trois faits pareils que La Monnoye a recueillis avant moi, et probablement de quelques autres qui nous ont échappé à tous deux. Mais qu’est-ce que cela prouve ? Ces phrases : naguères décédé, décédé évesque du Mans, etc., ne sont autre chose que des incises qu’un éditeur soigneux laisse volontiers tomber dans son texte pour en certifier l’authenticité ou pour en rafraîchir la date. Il ne serait même pas étonnant que les noms propres auxquels Desperiers aime à rattacher ses historiettes eussent été souvent remplacés par des noms plus récens, plus populaires, plus capables de prêter ce qu’on appelle aujourd’hui un intérêt piquant d’actualité aux jolis récits du conteur. L’auteur même qui publierait son ouvrage après l’avoir gardé vingt ans en portefeuille, ne négligerait pas ce moyen facile de le rajeunir, et il est tout simple que l’éditeur de Desperiers s’en soit avisé ; car, à son défaut, l’idée en serait venue au libraire. Laissons donc à Denisot et à Pelletier, puisqu’on en est convenu, l’honneur d’une collaboration modeste dans les ouvrages de leur maître, mais gardons-nous bien de pousser cette concession trop loin. Si Pelletier et Denisot avaient pu s’élever quelque part à la hauteur du talent de Desperiers, ils n’auraient pas caché cette brillante faculté dans les Contes et dans les Discours de Desperiers, eux qui ont vécu assez long-temps pour le manifester dans leurs livres, et qui ont fait malheureusement assez de livres pour nous donner toute leur mesure. Il n’y a qu’un Rabelais, qu’un Marot, qu’un Montaigne, qu’un Desperiers dans un siècle. Des Denisot et des Pelletier, il y en a mille.

Ce que l’on conclurait de tout ceci, à supposer que l’on voulût bien en conclure quelque chose, c’est que Desperiers est le véritable et presque le seul auteur de l’Heptaméron, comme des Nouvelles Récréations. Je ne fais pas difficulté d’avancer que je n’en doute pas, partage complètement l’opinion de Boaistuau, qui n’a pas le motif pour obmettre et celer le nom de la reine de Navarre.