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BONAVENTURE DESPERIERS.

priété ne lui en serait pas plus assurée, s’il les avait signés un à un, au lieu d’abandonner leur fortune aux volontés de sa royale maîtresse. Je regrette profondément qu’un homme de la portée d’esprit de La Monnoye n’ait pas constaté cette différence ou consacré cette restitution par quelques apostilles manuscrites à la marge d’une édition ancienne ; mais tout lecteur qui aura fait une étude attentive des autres écrits de Desperiers saura bien le retrouver dans celui-ci. Il n’y a pas moyen de s’y tromper.

La parfaite mesure de bienséance qui existait au moment où nous parlons dans le monde littéraire, comme dans tout le reste du monde social, ne permettait pas aux amis de Desperiers de publier les Contes que l’Heptaméron n’avait pas recueillis, tant que l’Heptaméron n’avait pas paru. L’hommage de la collection entière était bien dû à Marguerite, puisque ses principaux auteurs étaient ses domestiques ou ses amis, titres qui se confondaient alors, jusqu’à un certain point, dans le sens comme dans l’étymologie, mais dont notre aristocratie bourgeoise n’a pas compris les rapports. Il fallait donc que les éditeurs de Marguerite et les éditeurs de Desperiers s’entendissent avant tout sur la composition de leur recueil respectif, et c’est apparemment pour cela que Pelletier venait conférer à Paris avec Boaistuau, quand Denisot fut mort ; les contes qui furent écartés ou repoussés ; quelques-uns pour leur brièveté, quelques autres pour leur licence, un certain nombre parce qu’ils ne pouvaient s’assortir au caractère convenu de l’interlocuteur, et le plus grand nombre, peut-être parce qu’ils avaient perdu le piquant de l’anecdote et le sel de la nouveauté, furent renvoyés aux Nouvelles Récréations et Joyeux Devis, où ils ne figurent pas mal. Quant aux droits de l’auteur, Pelletier, qui avait, dit-on, pris assez de part à cette œuvre libre et facile pour revendiquer une partie de son succès, n’hésita pas à en faire honneur à son ami et à son maître, Bonaventure Desperiers, qui était mort depuis vingt ans ; et nous ne savons que par des inductions dont je vais m’occuper tout de suite que Pelletier et Denisot ont quelque chose à réclamer dans l’ouvrage. C’était là le véritable siècle d’or de la probité littéraire, et nos associations fiscales et tracassières le rendront de plus en plus regrettable. Il est horrible de penser qu’il a fallu, dans le code sacré de la république des lettres, des mesures préventives contre le vol.

Je suis loin toutefois de penser, comme La Monnoye, que cette coopération de Pelletier et de Denisot ait été fort considérable. Plus j’ai relu les Contes de Desperiers, plus j’y ai trouvé de simultanéité