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par une remarquable coïncidence, l’Histoire des Amants fortunez, mise au jour par Pierre Boaistuau, dit Launay. C’est ici la première édition des Nouvelles de Marguerite de Valois, mais fort différente de la seconde, publiée par Gruget, en 1559, et par le nombre des contes, et par leur disposition, et par une grande partie des leçons du texte, et par une circonstance bien plus digne encore de considération : c’est que, suivant les expressions de Gruget, « le nom de Marguerite y est obmiz ou celé. » Ceci me paraît s’expliquer très facilement, et le lecteur sera probablement de mon avis, s’il se rappelle les circonstances dans lesquelles et pour lesquelles ces deux ouvrages furent composés.

J’ai dit que les contes et les nouvelles étaient depuis long-temps un des divertissemens habituels des soirées de la haute société française, comme le furent depuis les proverbes et les parades. Tout le monde y contribuait à son tour, et la reine de Navarre y avait certainement contribué comme les autres, dans le cercle brillant qu’elle dominait de toute la hauteur de son rang et de son esprit. Les compositions médiocres ou mauvaises, tolérées par la politesse d’une cour indulgente, ne vivaient pas au-delà des bornes de la veillée ; les autres se conservaient, au contraire, avec soin, et devenaient peu à peu les matériaux d’un livre qui n’avait plus besoin que d’être revu par un secrétaire intelligent. L’ajustement de ce travail à un cadre dans la manière de Boccace était aussi, sans doute, du ressort de la rédaction définitive. Il est parfaitement évident pour moi que l’Heptaméron ne s’est pas formé autrement. Qu’est-ce donc que l’Heptaméron, sinon un recueil de contes et de nouvelles lus chez la reine de Navarre par les beaux esprits de son temps, c’est-à-dire par Pelletier, par Denisot, et surtout par Bonaventure Desperiers lui-même, qu’il est si facile d’y reconnaître ? Marguerite n’y est pas méconnaissable non plus, car elle avait son style à elle, comme tous les écrivains de cette époque naïve et créatrice, où les génies les moins heureux imprimaient cependant un sceau particulier à leurs paroles. Le style de Marguerite n’était pas des meilleurs, il s’en faut de beaucoup. Il est généralement lâche, diffus et embarrassé, tirant à la manière et au précieux, quand il n’est pas tendu, lourd et mystique. Rien ne diffère davantage du style abondant, facile, énergique, pittoresque et original de Desperiers, qui ne peut se confondre avec aucun autre, dans la période à laquelle il appartient, et qu’aucun autre n’a surpassé depuis. Les contes nombreux de l’Heptaméron qui portent ce caractère sont donc l’ouvrage de Desperiers, et la pro-