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BONAVENTURE DESPERIERS.

besoin d’être savant pour être quelque chose. C’est, si l’on veut, la fatuité d’un homme du monde qui s’est acquis le droit de railler les pédans par des études plus fortes que les études des pédans, et qui ne se mêle à leurs débats que pour leur en laisser le ridicule. C’est surtout l’instinct du conteur aimable qui fait volontiers rentrer l’historiette jusque dans ses parenthèses, et l’expansion rieuse du philosophe insouciant qui fait consister la sagesse à rire de toutes choses. On mettrait à l’alambic tous les lourds ouvrages de Nicolas Denisot, de Jacques Pelletier et d’Élie Vinet, sans en tirer un atome de l’esprit de Desperiers. La proposition qui leur attribue un des ouvrages de Desperiers ne peut plus être soutenue.

Les Discours de Desperiers (qu’on me permette de convertir cette hypothèse en fait) appartiennent à ce genre d’écrits que l’on connaissait alors sous le nom de Diverses leçons, et qui aboutirent, sans beaucoup varier dans leur forme, au livre le plus éminent de notre ancienne littérature, les Essais de Montaigne. La philosophie sérieuse a moins de part aux Discours qu’aux Essais, ou plutôt, elle y est déguisée sous une ironie si fière et si railleuse, que bien peu d’esprits pouvaient en pénétrer le mystère. À cela près, c’est un ouvrage d’examen sceptique, plus particulièrement appliqué aux études historiques et littéraires, à la grammaire et à l’archéologie. L’érudition ne s’était jamais montrée aussi spirituelle et aussi aimable que dans ces vingt chapitres, où le savoir d’Henri Estienne est assaisonné de tout le sel attique de Rabelais. L’étymologie, si mal connue alors, y est traitée avec une pénétration exquise ; les traditions héréditaires de ces nombreuses générations de savans, dont l’opinion s’accréditait de siècle en siècle, y sont présentées sous un point de vue moqueur qui en détruit le prestige. Rien ne se rapproche autant, dans les trois grandes époques de notre littérature, du persifflage de Voltaire. Le style même se ressent de cette anticipation sur l’âge de l’esprit français, parvenu à son plus haut degré de raffinement ; il est vif, coulant, enjoué, toujours pur, jusque dans son affectation badine. J’en citerai pour exemple, et non sans dessein, un passage où il est fait allusion à quelques pédans qui corrigeaient les vers de Térence :

« Puisque nostre langage actuel est sans quantité (je diray quelque jour ce que j’y en trouve, s’il plaist à Dieu), quand nous venons à parler les langages estrangers, nous ne gardons la quantité naturelle desdits langages, que nous n’avons pas naturellement, si nous n’y estudions bien à bon escient, et ne l’apprenons de ceux qui ont naturels tels langages. Voyla pourquoy vous ne trouvés aujourdui