Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 20.djvu/345

Cette page a été validée par deux contributeurs.
341
BONAVENTURE DESPERIERS.

qu’il n’en a conservé. À l’époque où il parut, notre littérature ne possédait rien d’un style aussi pur et d’un tour aussi délicat. C’est un précieux texte de langue dont la réimpression serait favorablement accueillie des gens de lettres, car celle de Prosper Marchand et celle de La Monnoye ont cessé d’être communes dans le commerce et l’ingénieux chef-d’œuvre du moderne Lucien y est noyé dans une multitude de conjectures confuses et de notes inutiles, ceci soit dit sans préjudice du respect qui est dû à ces excellens esprits.

Il ne fut permis de rappeler le nom de Desperiers qu’en 1544, et c’est la date d’une édition du Recueil de ses œuvres, publiée in-8o, à Lyon, chez Jean de Tournes, par Antoine Du Moulin, qui la dédie à la reine de Navarre dans une épître fort mal écrite. Le prétendu Recueil des œuvres de Desperiers est loin de justifier les promesses de son titre ; il ne contient ni les jolies pièces de Desperiers pour la défense de Marot, ni la traduction de l’Andrie, et on comprend à merveille qu’il ne peut pas contenir le Cymbalum Mundi. Antoine Du Moulin convient lui-même, en son lourd style, qu’il n’a pu recouvrer qu’une partie de ces nobles reliques, « desquelles aussi (à ce qu’il a ouy dire au deffunct) la royne conserve rière elle assez bonne quantité. » Nous verrons plus tard en quoi cette partie notable consistait. « D’autres, ajoute-t-il, sont entre les mains d’un mien congneu à Monpellier, » et on pourrait reconnaître à cette désignation Jacques Pelletier, du Mans, dont la vie errante se prête à toutes les conjectures, l’époque dont nous parlons concourant avec celle de ses études en médecine. Le Recueil des œuvres de Bonaventure Desperiers se réduit, au reste, à un mince volume de cent quatre-vingt-seize pages, dont quarante-une occupées par une traduction en prose du Lysis de Platon, qui ne se recommande que par un style facile et naïf. C’est probablement un ouvrage de jeunesse. Une autre pièce en prose, intitulée Des Mal-Contens, et adressée à Pierre de Bourg, Lyonnais, mérite mieux d’être remarquée, quoiqu’elle se renferme en six pages, parce qu’elle démontre invinciblement l’identité de l’auteur avec celui d’un autre livre dont il sera question tout à l’heure. C’est déjà la manière philosophique de Montaigne, et, chose étrange, c’est déjà un style que Montaigne n’aurait pas désavoué.

La troisième et dernière pièce de prose du Recueil de Desperiers n’est que de la prose apparente, et ceci a besoin d’explication. Marguerite, ayant chargé ce fidèle serviteur d’un travail sur son histoire, dont le sujet n’est pas autrement expliqué, le voyait avec peine perdre un temps précieux à ne lui écrire qu’en vers, et demandait expressé-