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soit toutes choses) ce qu’il devoit devenir ? Je croy que sa lumière l’a éblouy ; car il fallait bien que ces tuy accident y fut prédit, aussi bien que tous les austres, ou que le livre fut faulx. » — Une fois ce gros mot lâché, Desperiers oublie son sujet, et le reste du dialogue n’est plus qu’une fantaisie de poète, mais une fantaisie à la manière de Shakespeare ou de La Fontaine, dont la première partie rappelle les plus jolies scènes de la Tempête et du Songe d’une nuit d’été, dont la seconde a peut-être inspiré un des excellens apologues du fabuliste immortel. Il faut relire dans l’ouvrage même, pour comprendre mon enthousiasme, et, si je ne m’abuse, pour le partager, la charmante idylle de Célia vaincue par l’Amour, et les éloquentes doléances du Cheval qui parle.

L’idée de faire parler des animaux avait mis Desperiers en verve. Son quatrième dialogue, qui n’a aucun rapport avec les autres, est rempli par un entretien entre les deux chiens de chasse qui mangèrent la langue d’Actéon, et qui reçurent de Diane la faculté de parler. Les raisons dont Pamphagus se sert pour se dispenser de parler parmi les hommes, contiennent les plus parfaits enseignemens de la sagesse, et, quoique n’étant que d’un simple chien, elles méritent toute l’attention des philosophes. Il faut remarquer aussi dans ce dialogue la jolie fiction des nouvelles reçues des Antipodes, où la vérité menace de se faire jour par tous les points de la terre, si on ne lui ouvre une issue libre et facile. C’est une de ces inventions familières au génie de Desperiers, comme la vérité disséminée en poudre impalpable dans l’amphithéâtre, comme le livre délabré des lois humaines substitué au livre plus délabré encore des lois divines, et la moindre de ces idées aurait fait chez les anciens la réputation d’un grand homme.

Il est donc trop prouvé aujourd’hui que l’ouvrage de Desperiers méritait réellement le reproche d’impiété qui lui a été adressé par son siècle, et qu’il s’était bien attiré des persécutions que rien ne justifie d’ailleurs, car rien ne peut justifier la persécution. Il est fort douteux que Dieu éprouve jamais le besoin de se venger des folles insultes des hommes, mais il est suffisamment démontré aux esprits sensés que la société n’est pas investie du droit de venger Dieu. Cette conviction est trop universellement répandue à l’époque où nous vivons, pour qu’il soit inutile de l’affermir par des raisonnemens ; on peut seulement regretter qu’elle soit plutôt le résultat de l’indifférence que celui de la réflexion.

Abstraction faite du scepticisme effréné de Desperiers, de son ironie et de ses sarcasmes, son livre est digne de plus de réputation