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BONAVENTURE DESPERIERS.

fait entrevoir, il avait mis la pierre en poudre et l’avait ainsi semée dans l’arène du théâtre, où ils n’ont cessé depuis de s’en disputer les fragmens. Il n’y en a cependant pas un qui en ait trouvé quelque pièce, quoique chacun d’eux se flatte en particulier de la posséder tout entière. C’est ici, selon Prosper Marchand, une raillerie des chimistes, c’est-à-dire de ceux qui cherchent la pierre philosophale, et c’est en effet le sens propre d’une métonymie dont Desperiers n’a pas pris beaucoup de peine à cacher le sens propre. Qu’est-ce en effet, selon lui, que cette pierre philosophale ? « C’est l’art de rendre raison et juger de tout, des cieulx, des champs élyséens, de vice et de vertu, de vie et de mort, du passé et de l’advenir. L’ung dict que pour en trouver il se fault vestir de rouge et de vert, l’autre dict qu’il vauldrait mieulx estre vestu de jaune et de bleu. — L’ung dict qu’il fault avoir de la chandelle, et fût-ce en plein midi ; l’aultre tient que le dormir avec les femmes n’y est pas bon. » Nous voilà bien loin du grand œuvre des alchimistes. Et qu’importe leur vaine science à l’auteur du Cymbalum Mundi ? La pierre philosophale de Desperiers, c’est la vérité, c’est la sagesse révélée ; tranchons le mot, c’est la religion, et cette allégorie impie est si claire, qu’elle ne vaut presque pas la peine d’être expliquée ; mais si elle laissait quelque doute, l’anagramme l’éclaircirait ici d’une manière invincible. Quels sont ces hommes opiniâtres qui contestent entre eux la possession du trésor imaginaire ? C’est Cubercus ou Bucerus, c’est Rhetulus ou Lutherus, les deux chefs, divisés en certains points, de la nouvelle réforme ; c’est Drarig ou Girard, un des écrivains militans de la communion romaine, et on conçoit que pour ce dernier Desperiers se soit cru obligé d’user de plus de réticence et de mystère. Tout ceci est d’une évidence qui devait frapper La Monnoye, mais La Monnoye se contente de le faire deviner, sans le dire positivement. L’antiquité n’a certainement point de fiction plus vive et plus ingénieuse. Ajoutons qu’elle n’en a point de plus claire et de mieux exprimée.

Le troisième dialogue est moins important, mais il est délicieux. Mercure a reporté dans l’olympe le prétendu livre des destinées, si méchamment remplacé par les Institutes et les Pandectes. Jupiter vient de renvoyer le messager céleste sur la terre pour y faire promettre, par écrit public, une récompense honnête à la personne qui aura trouvé « iceluy livre, ou qui en saura aulcune nouvelle. — Et par mon serment, je ne scay comment ce vieulx rassoté n’a honte ! Ne pouvoit-il pas avoir vu autrefoys dans ce livre (auquel il cognois-