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BONAVENTURE DESPERIERS.

qu’il se précipita sur la pointe de son arme, et qu’elle le traversa de part en part jusqu’à la garde ; les autres ajoutent qu’il déchira sa blessure de ses mains, et qu’il en arracha ses entrailles, comme Caton. À l’existence près de Bonaventure Desperiers, tout devant rester équivoque dans son histoire ; Prosper Marchand doute même du fait principal, et, comme il a voulu justifier son auteur favori d’impiété, il ne tient pas à lui de l’absoudre, aux yeux de la postérité, d’un horrible attentat sur lui-même. Dans les embarras d’une pareille biographie, il reste certainement beaucoup de choses à deviner, et l’on ne peut tenter d’y être instructif sans s’exposer à être téméraire. — In re parum nota conjectare licet. —

Osons donc conjecturer, puisqu’il le faut, que Bonaventure Desperiers était, vers 1536, un jeune homme de sang noble, d’éducation distinguée, de manières brillantes, qui se faisait remarquer surtout par cette indépendance de pensées si favorable au succès des ouvrages d’imagination, et à laquelle on ne pouvait refuser alors les honneurs du courage. Il fondait en effet, avec Rabelais et Marot, cette école de scepticisme railleur, qui produisit long-temps après Fontenelle et Saint-Évremont, puis ce formidable esprit de Voltaire qui a renversé tout l’édifice patient et laborieux de la civilisation à coups de marotte. Ce n’est pas sous ce rapport que Desperiers m’intéresse, et que j’ai tenté de réhabiliter sa mémoire oubliée. Je rends volontiers justice au talent partout où il se trouve, et même quand il accomplit la funeste mission de détruire. La mission du génie est de conserver, quand il est venu trop tard pour créer encore.

Quoi qu’il en soit, c’est probablement à ce caractère particulier de son esprit que Bonaventure Desperiers fut redevable de la faveur d’une grande princesse dont les premiers penchans inclinèrent vers un scepticisme absolu, et qui finit toutefois, comme tant d’autres incrédules, par mourir dans les visions ascétiques de la mysticité. Marguerite n’avait encore que quarante-cinq ans, et on sait qu’aussi savante que belle, elle aimait à réunir dans sa cour les hommes les plus distingués de son temps. Marot avait été son valet de chambre pendant plusieurs années, et depuis 1530 seulement, elle avait senti l’impossibilité de le défendre contre ses nombreux accusateurs, sans se compromettre ou se perdre elle-même. Bonaventure Desperiers le remplaça au même titre, et jouit de la protection dont on n’osait plus couvrir son imprudent ami. Le palais reprit son éclat, sa gaieté, ses veillées et ses fêtes. Les muses y rentrèrent comme dans leur temple à l’appel de leur dixième sœur, et sous les auspices d’un de