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BONAVENTURE DESPERIERS.

Les hommes sont injustes et la renommée capricieuse. C’est un axiome de tous les temps, et j’aime à le rappeler pour la consolation des génies incompris de notre siècle, qui ne sont pas satisfaits de la gloire qu’ils se composent à eux-mêmes dans les réclames hyperboliques de leurs journaux. Ce n’est cependant pas d’eux que je me propose de parler aujourd’hui, et j’ai pour cela des raisons à moi connues. Ils sont trop difficiles à contenter.

La première moitié du XVIe siècle est dominée en France par trois grands esprits auxquels les âges anciens et modernes de la littérature n’ont presque rien à opposer. Ce sont ceux-là qui ont fait la langue de Montaigne et d’Amyot, la langue de Molière, de La Fontaine et de Voltaire, et il faut leur en conserver une reconnaissance éternelle. Une langue qu’ils n’ont point faite, à la vérité, c’est celle que l’on parle à présent dans les livres incompréhensibles des génies incompris ; mais l’art est long, la vie courte, l’expérience difficile, comme dit Hippocrate, et on ne peut pas tout prévoir. Cette langue excentrique, qui échappe à la logique et à la grammaire, était du nombre des choses imprévues, sinon des choses impossibles.

Des hommes que j’ai indiqués, le premier, c’est Rabelais ; le second, c’est Clément Marot. Voilà une double proposition qui ne souffrira point de difficultés. Quant au troisième, je vous le donne en dix, je vous le donne en cent, je vous le donne en mille ; vous ne le trouverez pas, car les distributeurs officiels de hautes réputations ne lui ont pas délivré de brevet, et c’est tout au plus si les biographes daignent lui accorder un misérable certificat de vie.