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UN VOYAGE EN CHINE.

ramassées en un cercle de quelques pouces offraient une ample moisson de fruits au propriétaire du jardin. Mais ce qui me frappa le plus, ce fut le bambou, cet arbre magnifique, ce panache des forêts, que je venais de voir aux Philippines élevant quelquefois sa tête à la hauteur de cinquante pieds. Je le retrouvai là, à l’état de nain, difforme et comme honteux de lui-même, se repliant sans grace, et prenant, dans ses efforts pour recouvrer sa liberté, les formes les plus bizarres. Considérés comme de singuliers monumens de la puissance de l’homme, les jardins de Fa-tee ne sont pas dénués d’intérêt pour l’observateur : ils offrent aux habitans des villes la faculté de transporter jusque dans leur chambre à coucher les arbres qu’ils admirent à l’air libre des champs sur une plus grande échelle ; mais, en voyant ces arbres ainsi réduits et comprimés, on souffre de la gêne qu’on leur fait subir, et on serait presque tenté de les plaindre. — On trouve dans les jardins de Fa-tee une immense collection de tous les arbustes et de toutes les fleurs que produit la Chine ; j’admirai plusieurs de ces dernières, que je n’avais vues nulle part, et dont je m’empressai de demander le nom : malheureusement on répondit en chinois à toutes mes questions, et je dus rester dans une complète ignorance à cet égard.

Nous quittâmes les jardins de Fa-tee, emportant avec nous des fleurs dont les propriétaires nous avaient fait cadeau. En revenant à Canton, il me prit fantaisie de ramer à mon tour. Un de ces messieurs, s’étant résigné à grelotter de froid sur le banc du canot, me prêta généreusement sa rame. Mes premiers essais ne furent pas encourageans ; ma rame, prise sous l’eau et ramenée avec violence contre ma poitrine, m’exposa souvent à une chute que j’eus toutes les peines du monde à éviter. Néanmoins je persévérai ; au bout de quelques minutes j’étais devenu un excellent rameur, et j’arrivai à Canton rouge de santé et avec un appétit qui devait faire honneur au dîner du club, où j’étais invité.

Ce mot de club ne doit pas vous surprendre, même à Canton. Qui ne sait qu’un club est une chose indispensable partout où quelques Anglais sont réunis ? À Canton, c’est véritablement une nécessité ; c’est un point de réunion pour ces pauvres exilés condamnés à vivre sur cette terre d’exclusion, seuls et privés de toutes les jouissances morales de la vie. Le nombre des Européens qui résident dans les factoreries de Canton s’élève à peine à cent ; ce sont tous des négocians qui, malgré les ordres réitérés du gouvernement chinois, y passent l’année tout entière. Quelques-uns d’entre eux vont seulement de temps à autre faire un court voyage à Macao. Je vous ai dit ce que sont leurs promenades : leurs journées se passent dans leurs magasins et leurs comptoirs ; mais les soirées, comment les employer ? Pour eux, ni douce conversation, ni tendres épanchemens au coin du foyer ou sur la verandah au clair de la lune. La politique chinoise s’oppose formellement à ce que les femmes européennes puissent venir à Canton. Le gouvernement pense, avec quelque raison, que, si les Européens pouvaient appeler leurs familles dans les factoreries, ils s’y établiraient à poste fixe, et qu’il faudrait avoir recours à la violence pour les en éloi-