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UN VOYAGE EN CHINE.

Cette permission leur fut généreusement octroyée ; mais, une fois en possession de cet asile, ils voulurent mordre la main à laquelle ils devaient ce bienfait : ils cherchèrent à introduire dans cette enceinte des canons, des hommes et des munitions de guerre, espérant s’y fortifier et s’y maintenir. Leur projet fut découvert, et on les chassa ignominieusement. De là le nom de Folie hollandaise, donné à cette forteresse.

Nous passions devant la Folie hollandaise au moment où le soleil se couchait. À peine l’astre eut-il disparu de l’horizon, que nos oreilles furent assaillies d’un effroyable tintamarre : c’étaient les jonques mandarines qui célébraient le coucher du soleil par des salves d’artillerie. Toutes les autres embarcations tiraient en même temps des milliers de pétards. À terre dans toutes les maisons, sur la rivière dans chaque bateau, une multitude infinie de gongs ou larges cymbales de cuivre faisaient retentir les airs des éclats de leur étourdissante harmonie. Cinq minutes après, un bateau de passage, semblable à ceux que j’avais vus à Macao, et conduit par deux femmes, me débarqua à Canton, devant la factorerie anglaise. — Je dirai, en passant, que ces bateaux doivent toujours, sous de fortes peines, être éclairés la nuit, afin que les officiers de police puissent les surveiller et empêcher les étrangers, de les souiller de leurs vices ou de leur contrebande.

Le lendemain de mon arrivée, je me levai de bonne heure, malgré la rigueur de la température, car nous étions au 4 janvier. Au sortir de la maison, je me trouvai sur une place bornée d’un côté par la rivière et de l’autre par les factoreries étrangères, qui s’étendent sur une ligne d’environ deux cent cinquante toises. Chacune des nations qui commercent avec la Chine a sa factorerie. La première factorerie, à gauche, en tournant le dos à la rivière, est le french hong ou factorerie française ; un mât élevé, au haut duquel flotte le pavillon tricolore, annonce la résidence de notre agent. À l’époque où je visitai Canton, la France n’était pas représentée en Chine ; M. Gernaert, consul de France en cette résidence, venait de la quitter. Auprès du pavillon français s’élève le pavillon des États-Unis, puis vient le pavillon anglais, et enfin le pavillon hollandais. Ces quatre pavillons sont les seuls qui flottent aujourd’hui à Canton ; il y a cependant encore plusieurs hongs ou factoreries, le hong danois, le hong espagnol, et d’autres hongs appartenant à des particuliers. Tous ces établissemens, bâtis à l’européenne, sont presque sans exception la propriété des hanistes chinois, qui les louent à haut prix aux étrangers. L’espace accordé par les Chinois étant fort resserré, les logemens sont rares et coûtent très cher. Un des commissaires de la compagnie des Indes orientales, M. Clarke, avait eu la bonté de m’offrir sa chambre, et je me trouvai comparativement très bien logé. Il avait été convenu que je prendrais mes repas à la factorerie anglaise ; mais, comme je reçus de toutes parts les invitations les plus pressantes, je ne pus que très rarement user de cette faveur. — Je saisis avec empressement cette occasion de parler de la franche et cordiale hospitalité que les Anglais exercent envers les étrangers ; je les retrouvai à Canton tels que je les avais vus à la Jamaïque, où, pendant un séjour de neuf mois, je fus entouré de