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UN VOYAGE EN CHINE.

pour refuser aux Anglais le privilége qu’ils demandent, est l’invariable résolution de ne permettre aux barbares de s’établir sur aucun point de son territoire, hormis le petit coin de terre où, par sa permission, existe la petite ville de Macao.

Nous avions aperçu de loin les mâts nombreux des navires étrangers qui stationnent à Whampoa pour décharger les cargaisons qu’ils apportent, ou pour attendre le riche chargement de thés, de soie, de drogues médicinales et d’autres articles précieux, qui doit leur arriver de Canton. Nous passâmes au milieu de ces navires, et, à huit heures du soir, notre cutter jeta l’ancre devant Quang-tong ou Canton, comme nous autres barbares nous appelons la cité chinoise. Mais je ne veux pas introduire mes lecteurs à Canton avant d’avoir essayé de décrire l’admirable spectacle dont nous pûmes jouir en parcourant les trois ou quatre derniers milles de notre voyage. À mesure que nous approchions de la ville, nous voyions se multiplier les maisons de campagne qui embellissent les bords de la rivière, et bientôt chaque rive nous offrit une ligne non interrompue d’édifices brillant des plus riches couleurs. Çà et là des temples élevaient au-dessus des maisons voisines leurs dômes pointus aux corniches ornées de riches sculptures. Nos regards s’arrêtaient aussi sur de nombreuses pagodes capricieusement ciselées à jour. Mais c’est sur la rivière que notre attention se porta avec le plus d’intérêt : ses eaux étaient à la lettre couvertes de bateaux et de navires de toutes formes et de toutes grandeurs, qui ne laissaient libre qu’un espace d’une trentaine de pieds pour le passage des embarcations : ici, des milliers de jonques marchandes, serrées les unes contre les autres, formaient une ville flottante d’où s’élevaient, avec une fumée épaisse, des chants et des cris de toute espèce ; là, les corvettes de guerre ou grosses jonques mandarines nous présentaient leurs flancs noirs et armés de grands canons mal montés ; plus loin, les chops ou bateaux de charge, construits chacun sur un modèle différent, selon la marchandise à transporter, couvraient de leurs rangs pressés tout un côté de la rivière ; enfin les bateaux de fleurs, éclairés par mille fanaux étincelans, étalaient leurs couleurs éclatantes et nous laissaient voir le travail exquis des chambres dont ils sont surmontés.

C’est ici le lieu de faire connaître ce qu’on appelle en Chine bateaux de fleurs, bien que j’éprouve un certain embarras à dépeindre ce que renferment ces bateaux d’une si riante apparence. Un fait que je dois consigner d’abord, c’est que l’entrée de ces bateaux est interdite à tout Européen, sous les peines les plus sévères. En vain les belles captives qu’ils renferment se promènent-elles sur le tillac, avec leur chevelure noire couronnée de fleurs, leur visage artistement peint, ou plutôt plaqué de rouge et de blanc, leur riche et voluptueux costume, et leurs pieds si petits qu’elles peuvent à peine marcher ; en vain répondent-elles par un gracieux sourire au regard furtif du voyageur ; en vain l’appellent-elles du geste et de la voix sous ces rideaux de soie qu’elles entr’ouvrent. S’il cède à la séduction, il est perdu. Il y a des serpens cachés sous ces fleurs traîtresses, et, nouvelles sirènes, ces filles des fleurs n’invitent l’Eu-