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UN VOYAGE EN CHINE.

rivage de hautes pagodes avec leurs innombrables étages ; le plus souvent, ces pagodes sont bâties sur les cimes des montagnes et attirent de loin les regards du voyageur. Dans cette traversée, notre cutter rencontra souvent des jonques chinoises, dont les matelots étaient loin d’avoir pour nous le respect auquel nous croyions pouvoir prétendre. C’est alors que j’entendis pour la première fois ces cris dont les étrangers sont ordinairement salués par la population chinoise, fan-kouaio ! fan kouaio ! qui assaillirent plus d’une fois nos oreilles. Quelques personnes pensent que ces mots contiennent une très grande offense ; d’autres, que j’ai lieu de croire mieux informées, m’ont assuré qu’ils signifient tout simplement diables ou esprits étrangers. Que l’on adopte l’un ou l’autre sens, il n’y a pas là de quoi prendre beaucoup d’humeur, surtout quand les Chinois se bornent à cette légère manifestation de leur mépris.

Nous rencontrâmes aussi plusieurs jonques de guerre et de nombreuses jonques de douane. Les premières sont peintes en rose ou en jaune, suivant le rang du mandarin qui les commande. Ces jonques sont toutes d’une construction parfaite et ont une marche très rapide. Le tonnage de celles qui surveillent l’intérieur de la rivière est de soixante à soixante-dix tonneaux. Des pavillons de toutes couleurs ornent la poupe et se déploient à la tête du mât, d’où s’échappent également de nombreuses banderolles. Au-dessus des pavillons de poupe flotte le pavillon principal qui porte les couleurs du mandarin et ses titres, écrits en gros caractère. De chaque côté de la poupe s’élèvent deux énormes fanaux de soie cirée et bariolée de mille couleurs. J’ai peu vu d’embarcations qu’on puisse comparer aux jonques mandarines de la rivière de Canton. Ce n’est qu’en Chine qu’on trouve des couleurs aussi brillantes ; tous les bâtimens que nous rencontrâmes semblaient peints de la veille. Ces jonques me rappelaient les anciennes galères dont on voit le dessin dans nos musées. De chaque côté de l’embarcation s’étend une suite d’écus ou de boucliers légèrement inclinés vers l’arrière, et qui doivent servir à la fois d’abri et de défense aux rameurs. Toutes celles que je vis portaient de quatre à six canons. Ces jonques, bien armées et montées par de braves artilleurs, pourraient devenir d’excellentes embarcations ; mais, équipées comme elles sont, elles ne peuvent servir tout au plus qu’à surveiller les contrebandiers chinois. Dans les combats qui se livrent entre les jonques et les contrebandiers, les forces du gouvernement n’ont même pas toujours le dessus. Dix de ces bâtimens ne feraient certainement pas baisser pavillon à une goélette européenne bien armée.

Les jonques de commerce qui naviguent sur le fleuve ont bien encore les belles couleurs chinoises, quoique la coque de ces bateaux ne puisse porter aucune des couleurs mandarines, le rouge le jaune et le bleu ; mais leur construction est tout-à-fait différente. Tout le monde a pu voir des gravures représentant des jonques chinoises : la poupe est relevée et chargée à une grande hauteur d’innombrables chambres ; l’avant est coupé en deux pour donner passage à l’ancre ; le centre du bâtiment est quelquefois de quinze ou vingt pieds plus bas que ses deux extrémités. L’arrière de quelques-unes de ces jonques était fort beau, la peinture et la sculpture de cette partie du