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qualités aimables, allait se rendre en Corée, pour mourir peut-être sur ce même rocher qui avait reçu le dernier soupir de M. Bruguière. Je n’ajouterai, à la louange des missionnaires, que quelques paroles recueillies dans un dîner public à Macao. « Depuis vingt ans que nous avons à Macao des missionnaires français, bien que souvent nous ayons vu venir parmi eux des jeunes gens dans l’âge critique des passions et pouvant prétendre à briller dans le monde, jamais un seul mot n’a été prononcé, jamais la moindre allusion n’a été dirigée contre un membre des missions françaises. Toujours leur conduite privée a été pure et irréprochable. »

Néanmoins le gouvernement portugais persécute nos missionnaires. Il leur conteste le droit de résider à Macao, sous prétexte qu’ils peuvent faire naître des motifs de rupture entre le gouvernement chinois et les autorités de cette ville. Mais telle n’est point la véritable cause de la persécution ; c’est dans la jalousie des missions portugaises qu’il faut la chercher. Les prêtres français trouvent plus d’intolérance encore chez leurs frères en religion que chez les Chinois.

Durant mon séjour à Macao, je reçus la plus franche et la plus cordiale hospitalité chez M. Elliot, surintendant du commerce anglais en Chine. Le 2 janvier, je partis pour Canton, et M. Elliot eut encore la complaisance de m’offrir un joli cutter de soixante-dix tonneaux, que le gouvernement anglais met à sa disposition. J’en profitai pour faire ce voyage, qui dure ordinairement deux jours. La distance qui sépare Canton de Macao est d’environ cent milles ou trente-trois lieues.

La rivière de Canton avec ses nombreuses îles et l’immense étendue de ses eaux, qui en font comme un bras de mer, s’ouvrait enfin devant moi. Des chop boats ou bateaux de commerce, de légères jonques de guerre, traversaient les eaux du fleuve avec rapidité. À trois heures après-midi, nous avions fait vingt-cinq milles et nous arrivions à Bocatigris ; c’est ainsi que les Portugais ont appelé l’endroit où les deux rives du fleuve se rapprochent, ne laissant entre elles qu’un espace d’environ un mille. Ce lieu est, à mon avis, la véritable embouchure du fleuve. Avant d’y arriver, le voyageur ne peut distinguer la rive gauche. Ce que l’on appelle généralement la prolongation du fleuve mériterait mieux, je crois, le nom de baie. De chaque côté de Bocatigris s’élèvent des forts construits d’après le système qui préside à toutes les fortifications chinoises, c’est-à-dire qu’ils présentent une ou plusieurs rangées de canons, tous placés sur une même ligne, et à poste fixe, sans angles, sans bastions. Chaque canon ne peut tirer qu’un seul coup contre le bâtiment qui passe devant le fort ; aussi l’entrée de la rivière est-elle en quelque sorte sans défense. Les forts ne sont pas même construits de manière à en surveiller l’approche, puisqu’ils sont placés sur une ligne parallèle au fleuve. Les Chinois, du reste, ont bien dû se convaincre de l’insuffisance de ces fortifications ; lorsqu’en 1834 deux frégates anglaises forcèrent le passage, on ne put leur opposer qu’un simulacre de résistance.

Ce fut d’ailleurs une folle entreprise que l’attaque tentée par les Anglais