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UN VOYAGE EN CHINE.

festation de ce phénomène. La surface de la mer était couverte d’une quantité innombrable de poissons qui se mouvaient en tous sens, et donnaient ainsi aux vagues l’apparence d’un tourbillon de flammes. Ce spectacle était réellement merveilleux ; et je passai plusieurs heures à le contempler.

Dans la matinée, nous jetâmes l’ancre devant Lintin. Vingt-cinq ou trente navires étaient à l’ancre dans cette rade. L’île forme un cône aride, qui s’élève à la hauteur de cinq à six cents pieds. Un village chinois, dont l’existence remonte à quelques années seulement, est adossé à un des pans de la montagne. La population de ce village a été attirée par la présence des navires européens, qui se montrent à Lintin pendant six mois de l’année. Lintin est le grand entrepôt du commerce de contrebande de l’opium ; cinq ou six navires y sont stationnaires, et servent de magasins aux maisons qui font le trafic de cette drogue. Pendant la mousson de sud-ouest, ces navires changent de mouillage, et vont jeter l’ancre dans une autre partie de l’archipel. Le gouvernement chinois a fait de nombreux efforts pour les obliger à s’éloigner, mais inutilement ; ils opposent aux sommations des mandarins une résistance d’inertie, c’est-à-dire qu’ils n’en font aucun cas. Jusqu’à présent le gouvernement chinois n’a pas jugé à propos d’employer la force pour se faire obéir[1].

Je ne passai que quelques heures à Lintin ; j’étais pressé d’arriver à Macao, et j’affrétai un bateau chinois, qui, moyennant un prix convenu, se chargea de m’y transporter. L’équipage de mon bateau, construit comme ceux dont j’ai parlé plus haut, se composait de huit ou dix Chinois, qui ramèrent avec courage pendant les huit ou neuf heures que nous mîmes à parcourir le trajet de douze lieues qui sépare Lintin de Macao.

Macao est situé sur une presqu’île qui a environ trois milles de long sur un mille de large ; c’est le territoire que les Portugais appellent leur colonie en Chine. Le terrain de la presqu’île est entièrement coupé de ravins et de collines, sur le flanc desquelles s’élèvent les maisons disséminées de la ville portugaise. L’endroit où la presqu’île se joint au continent peut avoir deux cents toises de large ; il est formé par une muraille, ouvrage des Chinois ; cette muraille est la limite que ceux-ci ont assignée aux excursions des barbares. Au-delà de cette barrière, nul étranger n’a le droit de pénétrer ; une porte bien gardée sert de communication avec l’intérieur et de passage pour les provisions que consomme Macao. Le sol du territoire portugais peut à grand’peine produire quelques légumes que des jardiniers chinois y cultivent. Vu de la mer,

  1. Le gouvernement chinois a cependant fini par se lasser. Le commerce d’opium prenait une extension vraiment alarmante ; la consommation, qui, en 1812 était à peine de 2,000 caisses, s’élevait, en 1837, à 31,000 caisses. Il a cru qu’il devenait nécessaire de frapper un coup décisif, et, au commencement de cette année, il a pris ces mesures violentes dans leur modération, dont nous ont entretenus les journaux, mesures dont les conséquences immédiates ont été la saisie entre les mains des négocians anglais de 21,080 caisses d’opium, et la cessation momentanée de toutes transactions entre les Chinois et les étrangers. Je parlerai plus tard de ces événemens.