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REVUE. — CHRONIQUE.

Essais d’histoire littéraire, par M. Géruzez[1].

Chargé depuis plusieurs années de suppléer M. Villemain et s’en montrant de plus en plus digne chaque jour par l’étude comme par le goût, M. Géruzez a déjà recueilli plusieurs parties intéressantes de son enseignement. Cette fois, il n’a prétendu donner que quelques morceaux, des portraits détachés et qui appartiennent à diverses époques, depuis saint Bernard jusqu’à notre élégie contemporaine. Sous son titre modeste, ce volume est d’une lecture aussi agréable qu’instructive, de ce qu’on peut appeler une excellente littérature. Rien de mieux touché que les portraits de Jodelle, de d’Aubigné, de Malherbe, de Sarasin ; les faits curieux, les anecdotes piquantes sont amenées à devenir des traits de caractère, et cela sans paradoxe, sans exagération, dans un certain milieu modéré qu’un sentiment juste remplit. Les portraits dans lesquels il peut entrer du moraliste et qui prêtent à une psychologie délicate, sont peut-être ceux qui conviennent le mieux à M. Géruzez. Avec Pascal, avec La Rochefoucauld, il s’est surpassé. « Pascal, dit-il au début, semble avoir reculé les limites de l’intelligence humaine, mais il n’a pas atteint celles de son génie. » On ne peut mieux dire en moins de mots ; on ne saurait ouvrir le compas devant Pascal dans un angle plus exact et plus rigoureux. Le La Rochefoucauld de M. Géruzez est d’une vue aimable ; en défendant la nature humaine, M. Géruzez s’est consulté lui-même, il se rattache à cette psychologie morale qu’ont honorée tout d’abord les Jouffroy, les Damiron, et à laquelle il est lié plus pieusement encore par le souvenir fraternel de Farcy. Mais ne flatte-t-il pas un peu M. de La Rochefoucauld en atténuant ses maximes ? et ne lui fait-il pas aussi quelque tort en lui refusant l’intention profonde que le chagrin moraliste n’a qu’à peine dissimulée ? Dans les Essais de Morale, de M. Vinet, il y a un chapitre sur La Rochefoucauld qu’on rapprochera utilement de celui de M. Géruzez pour rembrunir ce dernier. Sans doute c’est à propos de ses injures personnelles que La Rochefoucauld est arrivé à ériger ses maximes générales ; mais en est-il jamais autrement ? L’homme arrive-t-il jamais à une idée générale, sinon à propos d’un sentiment particulier ? Il n’importe au moyen de quelle pointe on ait percé la cloison, pourvu qu’on voie. Dans tous les cas, c’est le succès de ce genre d’appréciations délicates et de portraits que de provoquer quelque discussion, et comme de ranimer l’entretien autour des personnages qu’on fait revivre. Le volume de M. Géruzez produira cet effet pour quelques noms choisis. Le goût, la décence, la justesse, une ame bienveillante, une instruction variée, ingénieuse, y forment les principaux traits ; ce sont là des mérites de plus en plus rares, et qu’on est heureux de rencontrer. Quant aux critiques de détail, elles seraient en très petit nombre : je demanderai seulement si les Mémoires de Sallengre sont du marquis ou simplement de monsieur de Sallengre.


NOUVEAU RECUEIL DE CONTES, DITS ET FABLIAUX DU XIIIe ET DU XIVe SIÈCLE[2].

Il y a trois sources bien distinctes des fabliaux du moyen-âge : les uns remontent directement à l’antiquité et procèdent des traditions grecques ou ro-

  1. Paris, Hachette, 12 rue Pierre-Sarrazin ; et Gratiot, 11 rue de la Monnaie.
  2. Publié par M. Jubinal, chez Pannier, rue de Seine, 23.