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REVUE. — CHRONIQUE.

conservatrice. On ne gouverne ni n’administre en cédant aux exigences de quelques passions ou à l’appât de quelques éloges.

Le cabinet cherche sans doute, dans ses actes et dans ses choix, à tenir la balance égale entre les deux portions de la chambre. La nomination de M. Paganel comme secrétaire-général au département du commerce est une satisfaction donnée à l’ancienne majorité ; mais alors pourquoi avoir refusé à M. Martin du Nord la première présidence de la cour royale d’une ville dont il a été si long-temps le premier avocat ? Est-il vrai que le cabinet du 12 mai aurait allégué qu’il ne pouvait rien faire pour un ministre du 15 avril ? Le mot ne serait ni poli ni politique. Le ministère s’aliénerait ainsi une grande partie des 221, dont cependant l’appui lui est indispensable : il repousserait dans les rangs de ses adversaires un homme de talent et de courage, qui non-seulement sait tenir la tribune, mais dont l’esprit incisif sait se faire craindre et goûter dans les couloirs de la chambre. Il nous semble que l’ancien procureur-général de la cour royale de Paris, le magistrat qui avait assumé sur lui tout le poids du procès d’avril, le travailleur infatigable qui s’était mis si rapidement au courant des détails compliqués du département du commerce, méritait bien, de la part du cabinet du 12 mai, l’institution à la présidence de la cour de Douai. C’est un devoir pour tous les hommes, quels que soient leurs antécédens et leurs amitiés politiques, de prendre, dès qu’ils entrent au pouvoir, des sentimens à la hauteur de leur situation nouvelle. On n’est pas ministre pour écouter des souvenirs hostiles, pour obéir à de petites rancunes. Si l’on s’abandonne à ces mesquines passions, on nuit au pouvoir, dont on est cependant le soutien officiel ; on affaiblit l’action gouvernementale, dont l’intérêt suprême doit planer au-dessus des divisions d’hommes et de coteries.

Les conseils d’une haute politique ne doivent cependant pas manquer au cabinet du 12 mai, qui se distingue, dit-on, par une louable déférence envers la royauté. C’est même là pour lui, comme pour tous, une garantie. Si, à l’intérieur, une activité malheureuse voulait, en innovant inconsidérément, se signaler par des changemens et des créations, la sagesse royale serait là pour tempérer ce zèle impétueux, et en détourner les malencontreux effets ; au dehors, la haute expérience du roi est pour le ministère un enseignement toujours ouvert et toujours sûr.

Cet enseignement n’a pas dû lui manquer dans l’affaire d’Espagne ; on s’applaudit de la voir presque menée à fin, et le ministère peut se féliciter d’y avoir aidé par les mesures prises à la frontière, qu’il a fait strictement exécuter. Mais serait-il vrai que la négociation avec Maroto était dès long-temps pendante ? Le général Maroto avait en effet, si nous sommes bien informés, envoyé à Paris un agent, quelques jours avant la retraite du ministère du 15 avril, pour proposer la pacification des provinces basques. Ne pouvant lui-même entamer cette négociation importante, M. Molé avait, en se retirant, conseillé l’envoi d’un agent français en Espagne, pour diriger une crise qui était imminente, et assurer à la France les avantages qu’elle y devait trouver.