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GOETHE.

et leurs tiges, pleines de rosée, dessinaient çà et là, sous le vent, de merveilleux hiéroglyphes. On eût dit que la nature renouvelée frappait à la fenêtre avec tous les bruits de la terre et de l’air. Goethe réjoui se levait pour aller ouvrir à ce printemps de la jeunesse et de la vie, lorsque tout à coup il retomba immobile sur son fauteuil. L’octogénaire, en se levant, avait rencontré le bras de la Mort, il comprit ce que cela voulait dire. Sa main s’efforça de tracer quelques lignes dans le vide ; puis, après avoir murmuré ces mots : Qu’il entre plus de lumière (dass mehr Licht hereinkomme !), il s’arrangea plus commodément dans un coin de son fauteuil, et rendit l’ame. Telle fut sa fin ; il mourut comme Frédéric II, comme Rousseau, comme tous les aigles de la terre, l’œil tourné vers le soleil. Plus de lumière ! sans doute pour contempler une dernière fois dans sa jeunesse éternelle cette terre qu’il a tant aimée. À l’instant de sa transformation, sa main errante cherche à saisir le solide qui lui échappe. Plus de lumière ! la dernière parole de Goethe est un vœu pour la forme ! À le voir sortir de la vie avec tant de calme et de sérénité, on s’étonne d’abord de cette aversion invincible que soulevait en lui l’idée de la mort. Cependant, si l’on y réfléchit, ce sentiment s’explique. Sa haute raison a trop souvent sondé les abîmes de l’infini pour reculer devant ce pas terrible, mais non définitif ; d’ailleurs, dans une ame aussi mâle, aussi puissante, aussi fière de son indépendance, aussi profondément convaincue de son éternelle durée, comment supposer de ces vagues terreurs superstitieuses qui tourmentent les enfans et les illuminés ? Non, ce n’est pas la mort qui l’épouvante, c’est l’appareil lugubre dont on l’entoure qui répugne à l’orgueil inné de son intelligence. De là sa haine contre le catholicisme qui a peut-être le tort, de nos jours, de proclamer trop haut la souveraineté de la mort dans la vie. Le bruit lamentable des cloches l’importune à ses heures de travail ; tous ces symboles consolateurs, mais tristes, dont la religion peuple la campagne, troublent la sérénité de sa promenade du printemps. Sa nature hautaine se révolte contre cette invasion de la terre par la mort, et sa fureur éclate chaque fois qu’il rencontre dans les verts sentiers le pas stérile de cet hôte incommode : il lui faut l’existence dans sa plénitude, sans arrière-pensée de départ et d’adieu. Quand il écoute le rossignol chanter au clair de lune sous les acacias épanouis, quand il aspire la balsamique odeur des aubépines, il ne veut pas voir s’élever une image de douleur du milieu de cette efflorescence humaine. La croix même de Jésus, le signe divin de la rédemption, ne trouve pas grace devant lui : il n’aime pas voir