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MÉLANCTHON.

teurs. Nul n’éprouva de lui un refus. Il appelait tout le monde à profiter de qualités dont il rapportait tout l’honneur à Dieu, et qu’il disait n’avoir reçues que pour l’usage commun. Il fut généreux de son esprit jusqu’à ce qu’il pût l’être de sa bourse ; et son savoir fut, comme plus tard sa maison, au service de tous ceux qui se présentaient à lui avec le titre d’hôtes. Dans cette bonté admirable, nul doute qu’il n’entrât un peu de faiblesse. Comme ses préfaces augmentaient la valeur vénale des livres, on lui en demandait de toutes parts, et on en obtenait même pour des ouvrages qui démentaient sa recommandation. De même pour les lettres de crédit et les attestations ; il les prodiguait un peu au hasard, ne disant de personne rien de médiocre, et ne rendant jamais le service à demi, à ce point que, s’il était sollicité par quelqu’un dont il ne crût pas pouvoir en conscience rendre bon témoignage, il s’en délivrait avec de l’argent[1].

Mélancthon ne savait pas résister, et ce qu’on a dit de Fénelon, qui lui ressembla par tant de traits, qu’il tenait à plaire à tout le monde, même à ses valets, est vrai de Mélancthon, lequel fit beaucoup d’ingrats, jamais de mécontens. Excepté donc dans certaines déterminations capitales, qui ne se prennent qu’au plus profond de la conscience, où ne pénètrent pas les influences extérieures, Mélancthon se laissa vivre de la vie qu’on lui faisait. Mais telle était l’excellence de sa nature, que tout ce qui lui fut suggéré ou imposé par ses amis, tourna aussi bien que s’il fût venu entièrement de lui. Pour les charges surtout et les devoirs, quel qu’en fût le poids, il ne pensa jamais à s’y soustraire, sous prétexte qu’on l’avait surpris.

C’est ainsi qu’il se laissa marier, vers le milieu de l’année 1520, avec Catherine Krapp, fille de Jérôme Krapp, consul de Wittemberg. On attribua ce mariage à Luther, qui ne s’en défendit pas. Il voulait retenir Mélancthon à Wittemberg par des liens de famille ; il voulait, comme il l’avoue à Spalatin, travailler à l’accroissement de l’Évangile, en mettant la frêle santé de son jeune disciple à l’abri des incertitudes et des agitations du célibat. Le mariage fut décidé avant qu’on eût l’aveu de Mélancthon. Il l’apprit par le bruit public. « On dit, écrit-il à Hessus, que j’ai aussi la prétention de me marier, encore que je n’aie jamais été si froid[2]. » Et plus loin, à Langus : « On me donne pour femme Catherine Krapp ; je ne dis pas combien contre mon at-

  1. Camerarius, chap. XVII.
  2. Corpus reformatorum, tom. I, no 83.