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GOETHE.

qu’il s’en sépare pour toujours. Tout aperçu critique à leur sujet répugne à sa méthode, à laquelle il ne déroge qu’une fois pour Faust, cet enfantement de sa vie entière. L’œuvre qu’il vient de mettre au jour est pour lui une affaire terminée, une sorte de maladie de croissance domptée, et sur laquelle il ne revient plus. On le voit souvent, dans sa vieillesse, s’étonner lorsqu’il envisage quelqu’une de ses productions d’autrefois. Jamais, dans ses correspondances avec Schiller et Zelter, vous ne le surprenez à critiquer une œuvre déjà produite. Zelter lui parle un jour du Tasse, il ne lui répond pas. Cependant, sans tenir compte des témoignages insignifians qui se trouvent dans les Entretiens d’Eckermann, on peut extraire, de certaines pages qu’il écrivait à cette époque, bien des choses qui se rapportent à notre point de vue. « Ces travaux-là, dit-il en parlant d’Iphigénie, ne sont jamais achevés ; on peut les considérer comme tels, lorsqu’on a fait tout son possible d’après le temps et les circonstances. — Cependant je n’en vais pas moins entreprendre avec le Tasse une semblable opération. Franchement, j’aimerais mieux jeter au feu tout cela, mais je persiste dans ma résolution, et, puisqu’il n’en est pas autrement, nous voulons en faire une œuvre admirable. » Nous citerons aussi une lettre de Rome (26 février 1787), dans laquelle il laisse voir plus clairement encore qu’il a puisé le fond de cette pièce dans sa propre expérience. Il parle de la publication qu’il vient d’entreprendre de quatre volumes de ses œuvres, et des difficultés de sa tâche ? « N’aurais-je pas mieux fait d’éditer tout cela par fragmens et de tourner mon courage retrempé, ainsi que mes forces, vers de nouveaux sujets. Ne ferais-je pas mieux d’écrire Iphigénie à Delphes, que de m’escrimer avec les chimères du Tasse ? et cependant j’ai déjà tant mis de moi-même là-dedans, que je ne saurais y renoncer volontiers. » Goethe a raison. Quel sujet sembla jamais, par sa nature, plus fait que celui-là pour contenir cette partie de lui-même dont il parle, et qu’il serait curieux de chercher sous tant de poésie et d’imagination ?

Goethe ne procède pas au théâtre comme les autres maîtres. Sa vérité dramatique n’est point celle de Shakespeare ou de Schiller, et surtout dans les pièces dont il emprunte le fonds à l’histoire, ses personnages, non contens de se produire dans l’objectivité de leur nature, sont encore autant de points qui marquent les développemens gradués de l’intelligence individuelle du poète. Tels sont Clavijo, Egmont, Eugénie dans la Fille naturelle, Iphigénie, Goetz de Berlichingen. Même en ce sens, cette opinion généralement adoptée, et