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GOETHE.

qui n’empêche pas Goethe d’écrire le 23 mars, non sans une petite pointe d’ironie pour lui-même : « Après cette agréable aventure, je me promenais sur le bord de la mer, silencieux et content. Tout à coup une véritable révélation m’est venue sur la botanique. Je vous prie d’annoncer à Herder que j’aurai bientôt tiré au clair mes origines des plantes ; seulement je crains bien que personne n’y reconnaisse le règne végétal. Ma fameuse théorie des cotylédons est tellement sublimée (sublimirt), que je doute qu’on aille jamais au-delà. »

Ensuite il se rend en Sicile, et là, sur les classiques champs de bataille de l’antiquité, ramasse, au grand étonnement des insulaires, toute sorte de pierres et de galets, qu’on pourrait prendre tantôt pour du jaspe ou des cornalines, tantôt pour des schistes. Cette insatiable curiosité ne se dément nulle part. À chaque nouvelle trouvaille, il écrit à ses amis. Ce n’est point là une fureur d’un moment, qui passe bientôt ; ce n’est point là non plus la principale affaire de son voyage. Ce que c’est, il l’ignore lui-même. À Palerme, il se souvient de Cagliostro, et, à la faveur d’un costume bizarre dont il s’affuble, s’introduit dans la famille de ce personnage singulier, et recueille de la bouche de ses parens de curieux détails sur son histoire. Cependant, au-dessus de toutes les tendances qui le poussent, le génie poétique plane toujours. L’Odyssée, qu’il ne cesse de lire avec un incroyable intérêt au milieu de ses courses dans l’île, l’Odyssée éveille en son esprit le désir de produire. Les sujets antiques ont pour lui d’irrésistibles séductions. Il rêve une tragédie dont Nausicaa, cette blanche sœur d’Iphigénie, deviendrait l’héroïne. Il jette son plan sur le papier, et quelque temps après (mai 1787) écrit à Herder, de Naples, où il ne fait que passer : « Je viens d’entreprendre quelque chose d’immense, et j’ai besoin de repos pour l’accomplir. » Ce n’est que pendant son second séjour à Rome que sa transformation s’opère, qu’il obtient le grand triomphe sur lui-même. Alors seulement les fluctuations turbulentes s’apaisent, alors seulement il a conscience de ce calme inaltérable qui sera dans l’avenir le fond de son caractère, de cet équilibre que rien, dans la suite, ne pourra déranger. Il s’est mis désormais au niveau de ces sphères sublimes, et, dans l’harmonie où nage son être tout entier, la contemplation se marie à l’activité du travail et la féconde, bien loin de l’exclure et de l’étouffer comme aux premiers jours. Il écrit Egmont, Wilhelm Meister, et, sans renoncer à son propre génie, tient commerce avec la Muse antique, dont il suit partout les vestiges sur ce sol sacré. Il faut l’entendre s’exprimer sur les chefs-d’œuvre de la plastique grecque : « Ces nobles