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sa contemplation ne se détourne de l’architecture, de la statuaire et de la peinture, que pour se porter sur les plantes et les minéraux. Avec Goethe, rien ne se perd, et Rome ne suffit pas pour faire oublier à son orgueil le persifflage inoffensif des amis de Carlsbad ; il renverse de fond en comble l’édifice de ses connaissances ; car, dit-il, « je m’aperçois, après bien des années, que je suis comme un architecte qui veut élever une tour sur de mauvais fondemens, et je veux avoir conscience de la base sur laquelle je construis. » Cependant, au milieu de tant d’applications diverses que provoquent en lui les circonstances, sa nature originelle, poétique, ne se dément pas ; le 10 janvier, il livre à la lumière son Iphigénie ; et lorsqu’en février ses amis d’Allemagne lui parlent avec enthousiasme de son chef-d’œuvre, ses idées sont déjà tournées vers le Tasse. On le pense, en de semblables dispositions, son Iphigénie ne pouvait le contenter. « On cherche vainement sur le papier ce que j’aurais dû faire, écrit-il à Weimar ; mais au moins on devine par là ce que j’ai voulu. » Toutes ses idées sur l’art, la poésie, l’existence, l’attirent et le repoussent tellement dans leur flux et reflux, que ses amis lui reprochent de se contredire dans ses lettres. « C’est vrai, dit-il le jour de son départ pour Naples, je flotte sur un océan profond et sans cesse agité ; mais j’aperçois d’ici l’étoile du phare, et je n’aurai pas plutôt touché la rive, que je me remettrai. » Sur la route de Naples, il retrouve avec une véritable joie de savant de merveilleux cailloux, des traces volcaniques, des laves.

Arraché aux impressions souveraines de la cité des arts, il se laisse aller à toutes les études qui se rencontrent, mais sans donner à celle-ci le pas sur celle-là. À Naples, Goethe prend l’étude en distraction. Cependant cette indolence ne peut convenir long-temps à sa nature ; il doit compte à ses amis, à lui-même, de son activité. « J’observe les phénomènes du Vésuve, écrit-il de Naples le 13 mars 1787 ; franchement, je devrais consacrer tout le reste de ma vie à l’observation, peut-être trouverais-je par là le moyen d’augmenter les connaissances humaines. Ne manquez pas de dire à Herder que mes travaux de botanique vont leur train ; c’est toujours le même principe, mais il faudrait toute une existence pour les compléter. »

Ce soin empressé que Goethe met à s’enquérir de l’opinion de Herder, à se concilier à tout propos son assentiment, aurait de quoi nous étonner si nous ne connaissions la position délicate et réservée que ces deux grands génies gardèrent toujours l’un vis-à-vis de l’autre. Le poète a des raisons pour ménager le philosophe, et